Ce qui est calme est aisé à maintenir; ce qui n'a pas encore paru est aisé à prévenir; ce qui est faible est aisé à briser; ce qui est menu est aisé à disperser. (1) D'après les principes du non-agir, l'action et l'attachement (aux objets extérieurs) sont des choses désordonnées; c'est pourquoi celui qui agit échoue et ne peut réussir. Celui qui s'attache (aux objets extérieurs) les perd et ne peut les posséder. En conséquence le sage pratique le non-agir; aussi reste-t-il étranger aux succès comme aux échecs. Il laisse (les objets extérieurs) et ne s'y attache pas; aussi reste-t-il étranger à leur possession comme à leur perte. (2) Lorsque les hommes vulgaires voient qu'une chose est sur le point de réussir, ils se laissent aller à la négligence et à la légèreté; alors elle (cette affaire) change de face, et ils échouent complètement. Soyez donc sur vos gardes à la fin de vos entreprises comme on l'est au commencement; alors vous pourrez les conduire à leur parfait accomplissement et vous n'échouerez jamais. (3) La multitude désire des choses qui lui sont inutiles et use ses esprits à les chercher, tandis qu'elle méprise ce qu'il y a de précieux en elle (c'est-à-dire la pureté de sa nature): c'est le comble de l'aveuglement! Le Saint ne prise pas les choses extérieures; il attache uniquement du prix à l'absence de tout désir. (4) Tous les êtres ont chacun leur nature. Les hommes de la multitude ne suivent pas la pureté de leur nature; ils l'altèrent en se livrant à une activité désordonnée. Ils abandonnent la candeur et la simplicité, pour rechercher la prudence et l'astuce; ils laissent ce qui est facile et simple, pour courir après les choses ardues et compliquées. C'est en cela qu'ils pêchent. Le Saint s'applique à faire le contraire. |
Lorsque le peuple ne craint pas la mort, comment l'effrayer par la menace de la mort(1)?
(1) Lorsque le gouvernement est tyrannique, qu'il inflige des châtiments cruels et que le peuple ne sait plus que devenir, il ne craint point la mort. Quand on voudrait l'effrayer par la menace de la mort, ce serait chose inutile.
(2) Selon Li-si-tchaï: Laissez faire le ciel, il envoie le bonheur aux hommes vertueux et le malheur aux méchants. Quoiqu'il agisse en secret, aucun coupable ne peut lui échapper; mais si vous voulez remplacer le ciel qui préside à la mort, la peine capitale que vous aurez infligée retombera sur vous, et votre cœur sera déchiré de remords. |
Quand l'homme vient au monde, il est souple et faible; quand il meurt, il est roide et fort. (1) Selon Li-si-tchaï: Tout ce chapitre a un sens figuré. Lao-tseu veut dire que celui qui se rapproche du Tao par sa souplesse et sa faiblesse est assuré de vivre, et que celui qui s'éloigne du Tao, en recherchant la force et la puissance, en luttant contre les obstacles au lieu de leur céder, périra infailliblement. (2) Une armée forte tente le combat à la légère; elle aime à tuer les hommes, à répandre des désastres qui lui attirent de nombreux ennemis. Alors tous ceux qui étaient faibles s'associent ensemble contre elle, et deviennent puissants par leur union. C'est pourquoi celui qui est fort ne remporte pas la victoire. (3) Les êtres vivants qui sont durs et forts perdent leur harmonie vitale et meurent. Il est juste qu'ils occupent le rang inférieur. Ceux qui sont souples et faibles possèdent toute la plénitude de l'harmonie et ils vivent. C'est pourquoi ils occupent le premier rang. On voit par là que la roideur et la force sont l'origine, la cause de notre mort; et que la souplesse et la faiblesse sont ce qu'il y a de plus important pour entretenir notre vie. |
La voie du ciel (c'est-à-dire le ciel) est comme l'ouvrier en arcs(1), qui abaisse ce qui est élevé, et élève ce qui est bas; qui ôte le superflu, et supplée à ce qui manque. (1) Selon Hi-ching: Le propre du principe « Yang » est de monter, le propre du principe « In » est de descendre. Lorsque le principe « Yang » est monté au sommet du ciel (c'est-à-dire lorsque le soleil est au plus haut de sa course), il descend. Lorsque le principe « In » (c'est-à-dire la lune) est descendu aux dernières limites de la terre, il monte. Leurs mouvements opposés sont l'image de l'arc que l'on tend. La voie du ciel ôte au soleil ce qu'il a de superflu pour suppléer ce qui manque à la lune. (2) Le ciel se borne à égaliser toutes choses. C'est pourquoi il diminue le superflu des uns et supplée à l'insuffisance des autres. L'homme est en opposition avec le ciel et il n'observe pas l'égalité. Il n'y a que celui qui possède le Tao qui comprenne la voie du ciel. Il peut retrancher ce qu'il a de trop et l'offrir aux hommes de l'empire. Les sages de l'antiquité, qui surpassaient les autres hommes par leurs talents, songeaient à les employer pour le bien des créatures; ils ne s'en prévalaient pas pour se grandir (aux yeux du peuple). C'est pourquoi ils faisaient usage de leur sagesse et de leur prudence pour nourrir les hommes. Mais les hommes sages et prudents qui leur ont succédé, calculent ce qu'ils possèdent pour se procurer le repos et les jouissances de la vie. C'est pourquoi ils se mettent au service des hommes bornés et vicieux pour se nourrir eux-mêmes. (3) Quand ses mérites sont accomplis, il ne s'y attache pas. On dirait qu'il est dénué de tout mérite. |
Si vous voulez apaiser les grandes inimitiés des hommes(1), ils conserveront nécessairement un reste d'inimitié. (1) Selon Sou-tseu-yeou: les inimitiés naissent de l'illusion, l'illusion émane de notre nature. Celui qui connaît sa nature (et qui la conserve dans sa pureté) n'a pas de vues illusoires, comment serait-il sujet à l'inimitié? Maintenant les hommes ne savent pas arracher la racine (des inimitiés) et ils cherchent à en apaiser la superficie (littéralement: « les branches »); aussi, quoiqu'elles soient calmées extérieurement, on ne les oublie jamais au fond du cœur. (2) La partie gauche du contrat sert à donner, la partie droite sert à prendre, c'est-à-dire à réclamer. Quand ce dernier se présentait en tenant dans sa main la partie droite du contrat, celui qui avait la partie gauche les rapprochait l'une de l'autre, et, après avoir reconnu la correspondance exacte des lignes d'écriture et la coïncidence des dentelures des deux portions de la tablette (elles devaient s'adapter l'une à l'autre comme les tailles des boulangers, et les lettres qui y étaient gravées devaient se correspondre comme celles d'un billet de banque qu'on rapproche de la souche), il donnait l'objet réclamé sans faire aucune difficulté, et sans témoigner le plus léger doute sur les droits et la sincérité du demandeur. Lorsqu'on dit que le Saint garde la partie gauche du contrat, on entend qu'il ne réclame rien à personne, et qu'il attend que les autres viennent demander eux-mêmes ce qu'ils désirent de lui. (3) Lao-tseu veut dire que le Saint se borne à donner aux hommes et ne réclame point la récompense de ses bienfaits. Quand il leur fait du bien, il l'oublie; alors les hommes oublient aussi l'inimitié qu'ils peuvent avoir contre lui. (4) L'empereur donnait au peuple des terres que huit familles cultivaient en commun et dont elles partageaient également les produits, et il exigeait un impôt qui équivalait à la dixième partie de leur revenu. Il différait beaucoup de celui qui garde la partie gauche du contrat (et qui est disposé à donner). (5) L'homme vertueux se contente de donner aux hommes et ne leur réclame ou demande rien. Quoiqu'il ne prenne rien aux hommes, le ciel lui donne constamment, c'est-à-dire le comble constamment de ses dons. |
(Si je gouvernais) un petit royaume(1) et un peuple peu nombreux, n'eût-il des armes que pour dix ou cent hommes, je l'empêcherais de s'en servir. (1) Selon Sou-tseu-yeou: Lao-tseu vivait à l'époque de la décadence des Tcheou. Les démonstrations extérieures (les dehors d'une politesse étudiée) dominaient, c'est-à-dire avaient remplacé la sincérité du cœur, et les mœurs se corrompaient de plus en plus. Lao-tseu aurait voulu sauver les hommes par le non-agir; c'est pourquoi, à la fin de son ouvrage, il dit quel aurait été l'objet de ses vœux. Il aurait désiré d'avoir à gouverner un petit royaume pour y faire l'application de ses doctrines, mais il ne put y réussir. (2) Il aimerait son existence, il serait attaché à la vie et redouterait la mort. (3) Dans la haute antiquité, lorsque l'écriture n'était pas encore inventée, les hommes se servaient de cordelettes nouées pour communiquer leurs pensées. A cette époque les mœurs étaient pures et simples, et, suivant les idées de Lao-tseu, elles n'avaient pas encore été altérées par les progrès des lumières. (4) Il arriverait au terme de la vieillesse sans avoir songé à visiter le peuple voisin, parce qu'il serait exempt de désirs, et ne chercherait rien au delà de ce qu'il possède. |
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Hi-ching : Un des très nombreux traducteurs du Tao-te-king.
Li-si-tchaï : Un autre des très nombreux traducteurs du Tao-te-king.
Lis : Le Li est une unité de mesure chinoise de distance qui a considérablement varié en valeur avec le temps et les traducteurs. En effet les mesures chinoises ont posé de grandes difficultés à tous ceux qui se sont penchés sur leur valeur et personne n'a vraiment pu s'entendre à ce sujet. Selon le Père Maffée (16ème siècle), le li comprend l'espace où la voie de l'homme peut porter dans une plaine, quand l'air est tranquille et serein.
Il semblerait qu'aujourd'hui cette distance se soit « à peu près standardisée » et équivaudrait à 500 ou ... 576 mètres selon les sources.
Sie-hoeï : Le Docteur Sie-hoeï est l'auteur d'une édition du livre de Lao-tseu publiée en 1530 sous le titre de Lao-tseu-tsi-kiaï. (Bibliothèque royale, fonds de Fourmont, n° 288.)
Sou-tseu-yeou : Un autre des très nombreux traducteurs du Tao-te-king.
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