Maître Funakoshi Le Dojo-kun
Miyamoto Musashi Le Gorin-no-sho Avant-propos Terminologie
Chapitre 1 Chapitre 2 Chapitre 3 Chapitre 4 Chapitre 5

Gorin-no-sho, Traité des cinq roues

Le Gorin-no-sho est l'ouvrage de référence pour de nombreux pratiquants d’Arts Martiaux de tout horizon. Nous pouvons le trouver en français sous différentes appellations : « Le traité des cinq roues », « Le livre des cinq anneaux », « Le Livre des cinq roues », ou « Ecrits sur les cinq éléments ».

Ce « Traité » plein de philosophie ne se cantonne pas à l’art du sabre mais donne aux lecteurs des clefs de réussite dans tous les domaines.
Le Gorin-no-sho, écrit par Miyamoto Musashi sur la fin de son existence au XVIIème siècle est un condensé philosophique de sa vie de sabreur. La profondeur des ses réflexions, basées sur une expérience unique, en fait un ouvrage « indispensable » à tout Budoka.

Miyamoto Musashi (1584-1645)

Célèbre Samouraï, expert du combat au sabre, était l’un des plus important Maître en la matière que le Japon ait connu. Ses exploits ont inspirés de nombreux récits, films et plus récemment des Mangas que nos enfants dévorent.
De son vrai nom Shinmen Musashi-no-kami, Fujiwara-no-Genshin, il naquit dans la province de Harima. Fujiwara est le nom de la lignée aristocratique à laquelle il appartenait. Pendant son enfance il fut affublé de nombreux prénoms : Bennosuke, Takezo ou encore Heima ou « le petit Tengu ». Son père, Munisai Shinmen était un expert au sabre, mais fut tué lors d’un duel alors que Musashi n’avait que 7 ans. Son oncle maternel, moine, le recueilli et l’emmena dans son monastère ou il séjourna quelques années qu’il mettra à profit pour s’entraîner au sabre.
Il remporta son premier duel à mort à 13 ans contre Arima Yoshibe. Son second duel se fit contre un autre sabreur de renom : Akiyama. Il avait 16 ans.

À 17 ans il participa à la bataille de Sekigahara (1600) sous la bannière de Toyotomi Hideyoshi. Il y fut gravement blessé et seule sa constitution vigoureuse lui permit de récupérer.
En 1604, c’est à Kyoto qu’il défit et blessa grièvement Yoshioka Seijuro, important expert au sabre. Ce geste lui valut la haine du clan Yoshioka qui organisa un guet-appens à son encontre. C’est au court de ce duel célèbre qu’il tua une douzaine de membres du clan.
Puis il reprit sa route, remportant défi sur défi, invaincu dans plus de 60 duels. L’histoire raconte que seul Muso Gonnosuke, armé d’un bâton court (un ), remporta une victoire contre Miyamoto Musashi lors d’un combat non tragique. Il avait alors 29 ans.
Son dernier combat singulier eut lieu en 1612. Musashi tua le célèbre bretteur Sasaki Kojiro du clan Mori, redouté pour son sabre long (0-dachi) qu’il nommait « sa perche à sécher ». La rencontre eut lieu sur la petite île de Mukojima et Musashi vint au combat avec pour seule arme une longue rame en bois avec laquelle il fracassa le crâne de son adversaire surpris par l'allonge inhabituelle de cette arme improvisée.

À partir du début des années 1630 Musashi se consacra entièrement à l'étude de la Voie, tout en pratiquant calligraphie et peinture, arts dans lesquels il excellait.
En 1643 il se retira dans la montagne, pour mieux méditer dans la grotte Reigendo du Mont Iwato, à l'ouest de Kumamoto. C'est là qu'il rédigea, quelques semaines avant sa mort, en 1645, le texte « Écrit des cinq roues » plus connu sous le nom de « Gorin-no-sho ».

Il mourut en mai 1645, à l'âge de 62 ans et fut, selon sa volonté, enterré revêtu de son armure. Au cours de sa grande errance en quête de l'efficacité absolue, il expérimenta beaucoup et fit évidemment sa propre synthèse technique. Il donna, à son école, le nom de Nito-ryu (École des deux sabres), puis celui de Niten-ryu (École des deux Ciels). « Niten » était aussi le nom de plume qu’il utilisait parfois dans la dernière partie de sa vie.

La vie de Myamoto Musashi a inspiré Eiji Yoshikawa (1892-1962) ce fabuleux roman traduit en deux volumes : « La pierre et le sabre » suivit de « La parfaite lumière ». Un roman historique que j’invite les fans de tout âge à lire sans modération.

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Le Gorin-no-sho

Texte écrit par le Maître de sabre Miyamoto Musashi au crépuscule de sa vie, entre 1643 et 1645. Ce traité sur la stratégie et la Voie du sabre (Ken-jutsu) est, par ses indications techniques un classique de la littérature concernant les Arts Martiaux. C'est à l'âge de 60 ans, après avoir passé les dernières années auprès du Seigneur Churi dans son château de Kumamoto, à enseigner et à peindre, que Miyamoto Musashi décide en 1643 de se retirer du monde. Il se rend sur le mont Iwato, dans la province de Higo (Kyushu) et commence une vie en ermite dans une grotte du nom de Reigendo. C'est là qu'il écrit le Gorin-no-sho, qu'il termine et dédie à son élève Terao Magonojo (Tertio Nobuyuki) quelques semaines avant sa mort, en mai 1645.

Le Gorin-no-sho est organisé en cinq chapitres correspondant aux cinq éléments : respectivement : Terre, Eau, Feu, Vent et le Vide. C'est dans cet ordre que Musashi regroupe sa réflexion qui permet de progresser dans la philosophie de la tactique, du premier au dernier niveau de compréhension et d'expérimentation.

Chapitre l : « Terre » : Musashi y explique les grandes lignes de sa stratégie et compare sa Voie à celle du charpentier.

Chapitre 2 : « Eau » : comment se forger soi-même sur le plan physique et spirituel. Musashi y parle de la position de combat, de la vigilance de l'esprit, du regard en stratégie, de la Voie du sabre long, du rythme en combat, etc, le tout avec des indications précieuses issues de sa longue expérience.

Chapitre 3 : « Feu » : Musashi explique la tactique, aussi bien dans un duel que sur un champ de bataille, comment prendre l'initiative, étudier la topographie des lieux de combat, placer le cri en combat, se mouvoir ou s'immobiliser comme un roc. etc...

Chapitre 4 : « Vent » : Musashi critique les autres écoles du sabre et insiste sur l'esprit philosophique de sa propre école (Niten-ryu).

Chapitre 5 : « Vide » : très court, il est l'aboutissement de la tactique de Musashi, qui écrit : « Choisissant le Vide comme Voie, vous verrez la Voie dans le Vide ». De cette « Voie à suivre seul », quelques règles fondamentales émergent parmi lesquelles :

Avant-propos

J'ai voulu exprimer, pour la première fois, en un livre la Voie de ma tactique nommée Ecole de Niten dont j'ai poursuivi l'élaboration durant de nombreuses années. C'est ainsi qu'au début d'octobre de la vingtième année de l'ère Kan-ei (1643) je me suis rendu au mont Iwato situé dans la province Higo en Kyushu. J'ai salué le Ciel, me suis prosterné devant Avalokitesvara (Kannon) et me suis assis face aux Bouddhas.

Je suis un samouraï né dans la province Harima, et mon nom est Shimmen Musasgi-no-kami, Fujira-no-genshin. Je suis âgé de soixante ans. J'ai prêté attention aux Voies de la tactique dès ma jeunesse et j'eus mon premier duel à l'âge de treize ans. Pour ce premier duel, mon adversaire était Arima Kihê, bon sabreur de l'école Shintô que j'ai vaincu. A l'âge de seize ans, je vainquis Akiyama, fort au sabre et originaire de la province de Tajima. A l'âge de vingt et un ans, je me suis rendu à Kyoto et y ai rencontré les meilleurs sabreurs du Japon. Je les ai rencontré plusieurs fois en duel sans jamais être vaincu par aucun d'entre eux. Puis j'ai pérégriné à travers les provinces où j'ai rencontré plusieurs sabreurs de diverses écoles et bien que j'ai été jusqu'à avoir une soixantaine de duels avec eux, je n'ai jamais été vaincu par aucun. Tout cela se passa alors que j'avais de treize à vingt neuf ans environ.
Mais passé le cap des trente ans, je me mis à réfléchir sur ma vie et pensais : « Mes victoires ne provenaient pas de la supériorité de ma tactique, mais plutôt de qualités innées chez moi grâce auxquelles je ne me suis pas écarté des meilleurs principes. Peut-être bien aussi que mes adversaires manquaient de tactique ». Ainsi je décidais d'approfondir encore plus la Voie et continuais de me forger matin et soir et enfin, parvenu à la cinquantaine, l'unification avec la Voie de la tactique s'est faite d'elle-même en moi.
Depuis ce moment-là je n'ai plus aucune Voie à rechercher et le temps a passé. J'ai appliqué les principes (avantages) de la tactique à tous les domaines des arts. En conséquence, dans aucun domaine je n'ai de maître. Bien que j'écrive ce livre aujourd'hui, je ne fais aucun emprunt au Bouddhisme ni aucun au Confucianisme. Je ne me suis inspiré d'aucun récit militaire ancien ni d'aucun ouvrage ancien de tactique. J'ai voulu exprimer la raison d'être et l'esprit réel de notre école en y faisant refléter la Voie du ciel et Avalokitesvara (Kannon). J'ai saisi mon pinceau à quatre heures et demie du matin, à l'aube du dix octobre, et je commençai d'écrire.

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Chapitre 1 - « Terre »

En général, la tactique est la loi des samouraïs et ce sont surtout les officiers qui la pratiquent, mais les simples soldats eux-mêmes doivent la connaître. Dans le monde d'aujourd'hui aucun samouraï n'a compris d'une façon certaine la Voie de la tactique.

Tout d'abord, pour donner un sens clair de la Voie, je dirai : dans le Bouddhisme la Voie vient en aide aux hommes; dans le Confucianisme la Voie corrige les Lettres; dans la médecine la Voie guérit les maladies; certains poètes enseignent la Voie de la poésie; les artistes, les tireurs à l'arc ou les gens appartenant à n'importe quel autre domaine des arts, exercent chacun leur art comme ils l'entendent et l'aiment selon leur idée tandis que pour la tactique, rares sont ceux qui l'aiment.

En premier lieu, les samouraïs sont familiers avec deux voies : les Lettres et les arts militaires. C'est en cela que consiste leur Voie et même s'ils ne sont pas dignes d'Elle, les samouraïs doivent porter tous leurs efforts sur la tactique militaire selon leur grade. Lorsque je réfléchis à ce que doit être un samouraï, je suis convaincu qu'il doit être intime avec l'idée de la mort, mais la Voie de la mort n'est pas le seul fait des samouraïs. Les bonzes eux-mêmes, les femmes, les paysans, même les gens appartenant aux plus basses classes de la société doivent savoir décider de leur mort face à leur devoir ou à la honte. En ce sens il n'y a aucune différence entre les samouraïs et eux. Mais les samouraïs, quant à eux, poursuivent en plus la Voie de la tactique. Ils se doivent d'être supérieurs en tout à leurs adversaires. Ou bien ils gagnent dans un combat singulier, ou bien ils sortent vainqueurs d'une bataille. Ils recherchent les honneurs et un haut rang social pour leur seigneur et pour eux-mêmes. Tout ce qu'ils obtiennent est dû aux vertus de la tactique.

D'autres pensent qu'étudier la Voie de la tactique ne peut servir à rien au moment où l'on en a besoin. S'il en est ainsi, il faut alors s'exercer à la tactique de telle façon qu'elle soit utile à n'importe quel moment et il faut l'enseigner de telle manière qu'elle soit applicable à tous les domaines. C'est en cela que consiste la vraie Voie de la tactique.

En Chine et au Japon ceux qui pratiquaient cette Voie étaient traditionnellement appelés experts en la tactique. Quant aux samouraïs ils ne peuvent se passer de l'étudier. De nos jours, des gens vivent en se prétendant tacticiens, mais cela se borne en fait qu'à l'escrime. Des prêtres shintoïstes appartenant aux sanctuaires Kashima et Katori situés dans la province Hitachi (nord-est de Tokyo) ont fondé des écoles d'escrime transmettant l'enseignement des divinités. Ils vont de provinces en provinces pour répandre ces écoles. Le mot de tacticien utilisé aujourd'hui a ce sens. Depuis les temps les plus reculés il est dénombré dix disciplines et sept arts parmi lesquels la tactique figure sous le nom de moyens d'avoir l'avantage. Ainsi la tactique peut-être considérée comme une forme d'art. Mais comme elle fut désignée sous l'appellation « moyens d'avoir l'avantage », la tactique ne peut être bornée seulement à l'escrime. Si on la borne seulement à l'escrime on ne peut même connaître l'escrime, et naturellement, on est inapte à la saisir sur un plan militaire plus large.

Lorsque je regarde autour de moi, je constate que tout le monde fait commerce de l'art, que les hommes eux-mêmes sont considérés comme des marchandises, que l'on ne fabrique des objets que dans le but de les vendre. Prenons par exemple une fleur et un fruit. On donne souvent moins d'importance au fruit qu'à la fleur, surtout dans notre Voie de la tactique où on est sujet à se laisser aller au décorum, aux fioritures et à faire montre de technique. Telle ou telle salle d'exercice est créée pour enseigner cette sorte de tactique et ainsi tout le monde s'y exerce en vue d'un bénéfice quelconque. D'après un dicton, « une tactique non mûrie est l'origine de grandes blessures ». C'est vrai.

En général, il y a quatre états de vie : samouraïs, paysans, artisans et commerçants.

1°) Paysans : ils possèdent divers outils et instruments agricoles. Ils observent sans cesse la succession des quatre saisons. C'est ainsi que s'écoule leur vie. C'est la façon de vivre des paysans.

2°) Commerçants : les brasseurs de sake utilisent les outils et instruments adaptés à leur profession, et à cause de cela ils passent leur vie à obtenir de plus ou moins grands bénéfices. Dans tous les domaines du commerce, les commerçants font des bénéfices qui vont selon leurs activités et ils passent leur vie grâce à ces bénéfices. C'est la façon de vivre des commerçants.

3°) Samouraïs : quant aux samouraïs ils inventent toutes sortes d'armes. Ils doivent connaître les caractéristiques de chaque espèce d'arme. C'est la façon de vivre des samouraïs. Si un samouraï n'était pas familier avec les armes et qu'il ignore les caractéristiques de chaque arme, cela ne serait-il pas insensé ?

4°) Artisans : prenons pour exemple les charpentiers qui fabriquent avec habileté toutes sortes d'outils et instruments qu'ils étudient bien, ils corrigent leurs erreurs au moyen de mesures. Ils travaillent sans prendre de loisir et ainsi passent leur vie. La vie de ces samouraïs, paysans, artisans et commerçants représentent quatre façons différentes de vivre.

Maintenant, je vais comparer la tactique à la spécialité du charpentier. L'idée m'est venue d'un parallèle avec la spécialité du charpentier en pensant au mot école; on dit école de nobles, école de samouraïs, les quatre écoles de cérémonie du thé ou d'Ikebana. Ou bien on dit qu'une école est tombée et qu'un autre lui a succédé. Ou bien on dit que tel ou tel cours, telle ou telle leçon, telle ou telle école... tout cela m'a amené à penser au charpentier. En japonais, charpentier est synonyme de grande habileté. Notre tactique, elle aussi, doit être synonyme de grande habileté et c'est pourquoi je fais la comparaison avec le charpentier. Si vous voulez étudier la tactique réfléchissez bien à ce que vous allez lire dans ce livre. Que le Maître devienne l'aiguille et le disciple le fil, que tous les deux s'exercent sans cesse.

Un général est en quelque sorte un maître charpentier. Les généraux ont le sens des dimensions du monde, ils corrigent les mesures d'une province et connaissent les membres d'un clan. C'est la Voie d'un général (Maître). Le maître charpentier connaît parfaitement la construction d'un pavillon, d'une tour, d'un temple. Il est capable de dresser les plans d'un palais, d'un château et il édifie des bâtiments en se faisant aider par des ouvriers. Ainsi maître charpentier et maître samouraï sont semblables.

Pour édifier un bâtiment le maître charpentier utilise différentes qualités de bois. Il utilise des bois rectilignes sans noeuds, du meilleur aspect pour la partie réservée à la réception, mais utilise un bois rectiligne plus massif, même ayant quelques noeuds pour les parties privées. Il utilise du bois sans noeuds et de belle apparence, bien que plus faible, pour le seuil, les liteaux, les portes et portes coulissantes. Il utilise du bois à noeuds et tordu, mais robuste aux endroits devant subir une contrainte. S'il les choisit ainsi soigneusement alors le bâtiment ne se dégradera pas d'ici longtemps. Aussi il peut utiliser les bois noueux, tordus et peu solides à la confection des échafaudages et plus tard du chauffage.

Lorsqu'un maître charpentier engage des ouvriers charpentiers il doit s'enquérir de leurs capacités : supérieures, moyennes, ou inférieures. Il les utilisera soit pour aménager le tokonoma (sorte d'alcôve vénérée, réservée à l'arrangement de floral ou à l'exposition d'un sabre ou d'un objet précieux), ou bien à la construction du seuil, des linteaux et plafonds, etc. Ainsi chaque ouvrier charpentier trouvera sa place. Les moins bons seront planchéieurs et les pires, raboteurs, fabriqueront des coins ou des clavettes. Ainsi, si le maître charpentier sait adapter la capacité de chacun, alors le rendement sera bon et le résultat excellent.

Rendement, beau travail, ne pas prendre les choses à la légère, ne pas perdre de vue l'idée générale, savoir distinguer le degré supérieur, moyen ou inférieur de l'énergie de chacun, donner l'élan et savoir où commence l'impossible sont la règle d'or que chaque maître charpentier doit avoir en tête. Il en va de même pour le principe de la tactique.

Les soldats sont comme les charpentiers. Le charpentier polit ses outils, il fabrique toutes sortes d'instruments qu'il range dans un coffre propre à tous les charpentiers. Il reçoit les ordres de son maître, taillade les poutres à placer verticalement ou horizontalement, façonne les alcôves et étagères, grave et sculpte, prend soigneusement toutes les mesures, prête grande attention à son travail même dans le moindre détail : c'est la règle des charpentiers. Si un charpentier apprend bien son métier, de ses bras et de ses mains, et s'il sait bien reporter les mesures, il deviendra plus tard un maître charpentier.

Le métier de charpentier exige que l'on possède des outils bien appropriés et il est très important de les entretenir dès qu'on a un moment. Seul le charpentier est capable de fabriquer en bois, à l'aide de ses outils : tabernacles, rayonnages, tables, lampes, planches à découper ou couvercles. Il en va de même pour les soldats. Lecteurs, réfléchissez bien à tout cela.

Les charpentiers ne doivent jamais perdre de vue : précision dans l'exécution, concordance de toutes les parties de l'ouvrage, utilisation parfaite d'un rabot, refus du tape à l'œil, prévision des dégradations possibles. C'est là le point le plus important pour eux.

Si les lecteurs veulent étudier bien cette Voie de la tactique il faut qu'ils aient bien en tête tout ce que j'écris dans ce livre et y bien réfléchir.

J'ai divisé cet ouvrage en cinq chapitres : Terre, Eau, Feu, Vent et Vide dans le but d'exposer séparément les caractéristiques propres à chaque sujet.

Tout d'abord le chapitre Terre. J'y expose la Voie générale de la tactique et la raison d'être de mon école. Si l'on se borne uniquement à l'escrime on ne peut atteindre la vraie Voie. Il faut connaître tout, de l'ensemble jusqu'aux détails, et évoluer du moins profond au plus profond. Comme l'on trace un chemin bien droit sur la terre, j'ai intitulé ce premier chapitre : « Terre ».

Deuxième chapitre Eau. L'eau est une très bonne image pour faire comprendre notre principe. Il faut rendre notre esprit semblable à l'eau. L'eau prend la forme des récipients qui la contiennent, qu'ils soient carrés ou ronds. L'eau peut se réduire à une goutte ou atteindre la taille d'un océan. L'eau qui se trouve au fond des gouffres profonds a une couleur d'un vert pur. J'ai tenté de décrire dans ce chapitre l'essence de notre école avec un esprit dont la pureté se rapprocherait de celle de cette eau. Si l'on peut vaincre librement un ennemi parce que l'on possède bien tous les principes de l'escrime, alors on peut vaincre n'importe qui. Les principes qui permettent de vaincre un seul homme sont applicables pour venir à bout de mille ou dix milles ennemis. La tactique du général applique les règles des petites unités aux grandes unités comme le charpentier exécute une grande statue de Bouddha en partant d'un petit modèle. Je ne m'égarerai pas trop dans les détails de ce sujet. Le principe de la tactique consiste à tout connaître, de l'unité au dix millième. C'est ainsi que j'ai décrit l'essence de notre école dans ce chapitre intitulé « Eau ».

Troisième chapitre Feu. Ce chapitre traite de combats. Le feu peut-être grand ou petit. Il est extravagant. Comparativement au feu je décris ici plusieurs combats. Quant aux méthodes de combat, celles qui sont utilisées dans les combats singuliers peuvent être appliquées à des milliers de combattants. Il faut bien considérer la situation tantôt dans son ensemble, tantôt dans son détail. L'ensemble est facile à voir, mais les détails sont imperceptibles car les actions d'une masse ne peuvent être modifiées rapidement, donc elles sont faciles à découvrir tandis que les actions d'une seule personne sont modifiables par une décision unique donc c'est un détail difficile à saisir. Il ne faut pas perdre de vue tout cela. Dans ce chapitre intitulé « Feu », il est question d'action immédiate et il faut s'y exercer chaque jour et s'y accoutumer quotidiennement. Dans les cas d'urgence il faut se montrer prêt, l'esprit immuable. J'ai décrit tout cela dans ce chapitre « Feu » afin d'apporter des chances aux combattants.

Quatrième chapitre Vent. J'ai intitulé ce chapitre « Vent » parce qu'il est question non seulement de notre école mais aussi de tactiques d'autres écoles. Si j'utilise ici le mot « Vent » [en japonais, vent = aspect, allure, caractéristique] c'est parce que l'on a coutume de dire « le vent ancien » [aspect ancien, du passé], « le vent de notre temps » [les choses dans le vent], « le vent de telle ou telle famille » [l'air de famille], etc. ... Donc j'ai écris très clairement ici les autres tactiques et la manière propre aux autres écoles et c'est pour cela que j'ai choisi le titre : « Vent ». Sans bien connaître les autres, nous ne pouvons bien nous connaître nous-mêmes. Chez les pratiquants de n'importe quelle Voie se trouvent toujours des hérétiques. Même si quelqu'un pratique chaque jour assidûment dans une Voie, s'il est tant soit peu dans l'erreur tout en étant persuadé d'être sur le bon chemin, malgré tous ses efforts, sa Voie ne sera pas la Voie véritable pour quelqu'un de plus perspicace. Si l'on ne se trouve pas sur le bon chemin, la petite erreur du début conduira plus tard à une grande erreur. Il faut bien y réfléchir. Dans les autres écoles la tactique ne s'applique seulement qu'à l'escrime. En un sens elles ont raison, mais chez nous l'escrime n'est qu'une forme de la tactique. J'expose dans ce chapitre les caractéristiques d'autres écoles, afin de faire connaître d'autres tactiques répandues dans le monde.

Cinquième chapitre Vide. J'ai intitulé ce chapitre « Vide », mais le vide, où commence-t-il, où finit-il ? Lorsque l'on possède complètement une théorie alors il faut s'en détacher. La Voie de la tactique est une voie libre. Tout naturellement on parvient au prodige. Tout naturellement on acquiert un rythme selon l'instant. Tout naturellement on frappe et tout naturellement on fait face. Tout cela est la voie du « Vide ». Tout naturellement il faut entrer dans la Voie véritable. C'est tout cela que j'ai décrit dans ce chapitre : « Vide ».

A propos des deux sabres, tous les samouraïs, qu'ils soient officiers ou soldats, portent à la ceinture deux sabres. Autrefois on les appelait « le grand sabre » et « le sabre ». Aujourd'hui, on les appelle « sabre » et « wakizashi » [en français : petit sabre; mais la traduction littérale est : porté sur le côté]. Je n'ai pas besoin d'expliquer ici en détail que tous les samouraïs portent ces deux sortes de sabre. Dans notre pays les samouraïs ont coutume de les porter tous deux à la ceinture, en sachant ou non pourquoi. J'ai appelé mon école « école des deux sabres » justement dans le but de faire connaître l'avantage que présente le port de ces deux sabres.

D'un type différent des lances et hallebardes, par leur maniabilité en toutes circonstances les sabres peuvent être conservés à tout moment à portée de la main.

Dans notre école, dès l'entrée on exerce la Voie en ayant constamment les deux sabres en main. C'est là la caractéristique de notre école. Lorsque nous rencontrons la mort en cours de combat il vaut mieux que ce soit en utilisant toutes les armes dont nous disposons. Il est contraire à notre principe de mourir avec une arme inutilisée à notre côté.

Mais lorsque nous avons quelque chose dans chaque main, il est difficile de les manœuvrer aisément ensemble sur la droite et sur la gauche. Le but de notre école consiste à manœuvrer d'une seule main le grand sabre.

Si cela est hors de question pour les lances, hallebardes et armes de grandes dimensions, par contre le sabre et le petit sabre sont maniables chacun d'une seule main. Il est difficile de manier un sabre à deux mains lorsque l'on se trouve à cheval. Cela est difficile lorsque l'on est en train de courir. Cela est difficile dans les marécages, rizières pleines de boue et sur un chemin caillouteux, sur un terrain en forte pente ou au milieu d'une mêlée. Si l'on a en main gauche un arc, une lance ou n'importe quelle autre arme on est alors contraint de manier le sabre d'une seule main. Or, tenir un sabre des deux mains n'est pas la vraie Voie. Si vous ne pouvez parvenir à pourfendre un adversaire d'une seule main, alors pourfendez-les en deux. Cela n'est pas une perte de temps. Il faut d'abord s'accoutumer à manipuler un sabre d'une seule main. Ainsi dans notre école on apprend à manier les sabres en en ayant un dans chaque main.

Pour n'importe qui, prendre pour la première fois un sabre en main semble pesant et de maniement difficile. Toute chose abordée pour la première fois est difficile, par exemple tendre un arc, manier une hallebarde. Au fur et à mesure que l'on se familiarise avec une arme on la manie plus facilement. Par exemple dans le cas d'un arc, on peut alors le tendre fortement. Il en va de même pour un sabre, au fur et à mesure que l'on s'accoutume à le manier on acquiert de l'aisance dans son maniement à force d'habitude.

Un maniement rapide n'est pas l'essentiel de la Voie de sabre. Je traiterai de ce sujet dans le chapitre « Eau ». Manier le grand sabre lorsque l'on dispose de beaucoup de place et le petit sabre dans un endroit étroit : c'est là le premier point de la voie du sabre.

Dans notre école il faut vaincre, que l'on ait une arme longue ou une arme courte. La longueur d'un sabre ne nous importe donc pas. Volonté de vaincre par n'importe quelle arme : c'est la Voie de notre école.

Nous préférons utiliser deux sabres plutôt qu'un seul lorsqu'un homme seul se trouve face à plusieurs adversaires ou bien lorsque nous désirons capturer vivant un adversaire.

Je n'exposerai pas tout cela en détail maintenant. Il faut que les lecteurs connaissent à l'aide d'un cas, dix mille exemples. Si l'on parvient à la Voie de la tactique, on ne manque pas de les connaître tous sans exception. Il faut bien avoir tout cela en tête [N.D.T. : on raconte que Musashi enfant était allé s'amuser dans un sanctuaire shintoïste. Il vit un homme battre du tambour. Il fut frappé qu'un seul son sorte bien que l'homme battît avec deux baguettes. Il y vit un rapport avec le maniement des sabres, qui se fait également des deux mains].

Dans cette Voie, celui qui manie bien le sabre est appelé « tacticien ». Dans la Voie des arts martiaux, celui qui tire bien à l'arc est simplement appelé « tireur », celui qui tire bien au fusil est appelé « bon tireur ». Lorsque l'on manœuvre bien une lance on est appelé « lancier », lorsque l'on se sert bien d'une hallebarde on est appelé « hallebardier ». Alors il aurait fallu appeler celui qui connaît la Voie du sabre un « sabreur » ou « petit sabreur ». L'arc, le fusil, la lance et la hallebarde sont toutes des armes de samouraï et ceux qui les manient appartiennent à la Voie de la tactique. Cependant, une raison particulière fait que le sabre est le seul qui appartienne à la Voie de la tactique : l'ordre est maintenu dans le monde et l'on se garde soi-même grâce à la vertu du sabre qui est ainsi l'origine de la tactique. Si l'on atteint à la vertu du sabre on peut, seul, vaincre dix personnes. Si l'on vainc, seul, dix personnes alors cent personnes vaincront mille personnes, mille personnes dix milles personnes. C'est pourquoi dans la tactique de notre école une personne ou dix milles personnes sont considérées comme une seule et même chose et nous appelons l'ensemble des règles des samouraïs : tactique.

Quant aux Voies, il y a celles des confucianistes, bouddhistes, artistes, professeurs de maintien et danseurs. Chez les samouraïs les Voies ne sont pas séparées les unes les autres. Même si l'on n'appartient pas à une Voie déterminée, si on approfondit et élargit sa propre Voie, alors on peut rencontrer cette autre Voie. Dans tous les cas il est important que les hommes se polissent bien, chacun dans sa propre Voie.

Passons maintenant à la question de l'efficacité des diverses armes. On peut avoir à se servir de n'importe quelle arme selon les circonstances de la vie.

Le petit sabre est adapté aux endroits étroits ou bien lorsque le corps de l'adversaire est proche. Le sabre convient en toute circonstance. La hallebarde est moins adaptée que la lance aux champs de bataille. La lance peut y prendre l'initiative mais la hallebarde y est souvent dominée. Ainsi dans le cas de deux adversaires de même force le lancier dominera légèrement le hallebardier. Mais le lancier et le hallebardier sont peu efficaces dans les endroits étroits. Ils n'ont pas non plus grande efficacité dans les batailles au corps à corps. Lances et hallebardes ne peuvent servir que sur les champs de batailles, où elles ont leur importance.

Cependant, pour n'importe quelle arme, si l'on se contente seulement d'en éprouver l'efficacité dans une salle d'exercice, en se perdant dans des détails faisant oublier la vraie pratique, alors celle-ci deviendra inutile dans un combat. L'arc, quant à lui, est bien adapté aux stratagèmes des combats. Auprès d'un corps d'armée de lanciers et autres, l'on peut tirer rapidement et par là l'arc est très commode sur les champs de bataille alors qu'il n'est pas adapté à l'assaut de places fortes ou bien lorsqu'un adversaire se trouve à plus de quarante mètres.

De nos jours l'archerie et tous les arts militaires sont plein de fioritures mais il n'y a presque rien derrière. Les arts militaires de cette sorte ne peuvent servir dans les moments d'urgence.

Rien n'est mieux qu'un fusil pour se battre depuis une forteresse. Même sur un champ de bataille l'importance du fusil vient avant celle de la mêlée. Mais une fois la mêlée commencée le fusil ne suffit plus.

Une des qualités du tir à l'arc est la possibilité de suivre le trajet de la flèche ce qui permet au tireur de corriger son tir alors qu'une balle de fusil est invisible. C'est là un défaut du fusil. Réfléchissez-y bien.

Quant au cheval, l'essentiel est qu'il soit fort et endurant et ne présente aucune singularité. En somme il faut que tout soit solide : cheval bon trotteur, sabre et petit sabre tranchants, lance et hallebarde transperçantes, flèches et fusil robustes. Tout doit être indestructible.

Il ne faut s'attacher avec outrance ni à des armes ni à des outils. Excès, insuffisance sont pareils. Inutile d'imiter les autres. Possédez les armes et les outils qui sont à votre portée. Que l'on soit officier ou simple soldat il n'est pas bien d'aimer certaines choses et d'en haïr d'autres. Méditez bien sur ce sujet.

En toute chose il y a rythme. Dans le cas particulier du rythme de la tactique on ne peut l'atteindre sans s'exercer.

Si l'on regarde autour de soi, on constate que l'existence du rythme est claire dans la danse, la musique et les instruments de musique. Lorsque le rythme domine, l'exécution est bonne.

Dans le domaine des arts militaires, tels que tir à l'arc, tir au fusil, jusqu'à l'équitation, tout obéit au rythme et à la cadence. Dans tous les arts et techniques on ne peut aller contre le rythme.

Dans les affaires abstraites également, c'est le rythme qui domine. Prenons comme exemple la vie d'un samouraï. Elle peut se diviser en rythme des degrés de son ascension, rythme de sa situation décadente, rythme du moment où tout marche bien pour lui, ou rythme du moment où tout est contrariant pour lui. Il en va de même pour celle d'un commerçant : rythme qui lui apporte la richesse ou bien rythme qui la lui fait perdre. Ainsi dans chaque domaine il y a des rythmes différents. Il faut savoir discerner le rythme ascensionnel et le rythme décadent de toutes choses. Réfléchissez-y bien.

Plusieurs sortes de rythmes se remarquent dans la tactique. Il faut d'abord connaître le rythme concordant, puis comprendre quel est le rythme discordant. Il faut savoir discerner le rythme qui sied bien, le rythme à saisir selon l'occasion et le rythme contrariant, tous les rythmes qu'ils soient larges ou étroits, lents ou rapides, sont caractéristiques de la tactique. Tout particulièrement, si l'on ne saisit pas le rythme contrariant, la tactique ne sera pas sur des bases solides.

Dans les combats de la tactique il faut connaître les rythmes de chaque adversaire et il faut se mettre au rythme inattendu de l'ennemi. Alors on peut vaincre ses adversaires en se mettant sur un rythme « vide » en partant d'un rythme né de l'intelligence.

Dans ce livre, il est question principalement du rythme dans chaque chapitre. Il faut bien s'imprégner de ce que je vais écrire afin de bien se forger.

Exercez-vous matin et soir dans la Voie de la tactique de notre école exposée plus haut. Ainsi vos idées deviendront plus larges d'elles-mêmes et ma tactique se répandra en tant que tactique adaptée à des masses d'individus et à un seul. Je m'exprime pour la première fois sur du papier et cela constituera cinq chapitres : Terre, Eau, Feu, Vent et Vide.

Ceux qui veulent connaître ma tactique doivent obéir aux principes suivants selon lesquels ils peuvent pratiquer la Voie :

1) éviter toutes pensées perverses
2) se forger dans la Voie en pratiquant soi-même, et non par le jeu des idées
3) embrasser tous les arts, et non se borner à un seul
4) connaître la Voie de chaque métier, et non se borner à celui que l'on exerce soi-même
5) savoir distinguer les avantages et les inconvénients de chaque chose
6) en toutes choses s'habituer au jugement intuitif
7) connaître d'instinct ce que l'on ne voit pas
8) prêter attention aux moindres détails
9) ne rien faire d'inutile

Avoir bien en tête tous ces principes généraux et ainsi s'exercer dans la Voie de la tactique. Ce qui est important, c'est que dans cette Voie on ne peut devenir expert en la tactique sans avoir une vue directe et vaste. Si nous possédons bien cette tactique, même seul face à vingt ou trente adversaires, ceux-ci ne pourront venir à bout de nous. Il faut d'abord avoir toujours présente à l'esprit cette tactique et s'exercer franchement sans relâche. Alors nous vaincrons de nos propres mains et notre vue sera supérieure à celle des autres. Et si votre corps entier se libère à force d'exercices alors vous serez supérieurs aux autres par votre propre corps. Et si votre esprit s'habitue totalement à cette Voie, vous pourrez vaincre grâce à votre propre esprit. Si vous parvenez à ce point, comment pourriez-vous être battus ?

De même, dans le domaine de la tactique appliquée à des masses d'individus vous vaincrez afin de vous attacher des hommes bons, vous vaincrez afin d'utiliser de nombreux hommes, vous vaincrez afin que votre conduite demeure juste, vous vaincrez afin de gouverner le pays, vous vaincrez afin de nourrir le peuple et vous vaincrez afin de maintenir l'ordre dans le monde. Ainsi, dans tous les domaines vous connaîtrez le moyen de ne pas être battu par les autres. Et enfin vous vous aiderez vous-même et garderez votre honneur : c'est là la Voie de la tactique.

Le 12 mai de la seconde année de Shôho, Shimmen Musashi, à Monsieur Terao Magonojô

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Chapitre 2 - « Eau »

L'esprit de la tactique de notre école « Niten » se base sur la philosophie de l'eau d'où l'on tire les moyens les plus efficaces. C'est pourquoi j'appellerai ce chapitre : « Eau », car j'y exprime le maniement du sabre selon notre école. Il est difficile d'exprimer en détail cette Voie comme je le voudrais. Bien que les mots soient insuffisants, l'essentiel ressortira de lui-même. Sur tout ce que j'écris dans ce livre, il faut s'arrêter à chaque mot, chaque lettre, afin de bien réfléchir. Si les lecteurs survolent alors ils s'éloigneront de la Voie.

Même si la théorie de la tactique que j'expose s'applique à deux adversaires, il est très important de la considérer également dans son sens le plus large, c'est-à-dire en tant que théorie pouvant s'appliquer à dix milles individus faces à dix milles autres.

Toutes les erreurs de jugement et tous les égarements sur cette Voie, si minimes soient-ils, font irrémédiablement tomber sur un mauvais chemin.

La simple lecture de ce livre ne saurait faire parvenir à la Voie de la tactique et il faut éviter d'en considérer le contenu comme un simple recueil de mots. Au contraire, il faut essayer d'adapter tout ce qui est dit à notre propre corps. Découvrez de vous-même ces théories en évitant l'imitation et le plagiat. Sans cesse réfléchissez selon votre corps.

Dans la Voie de la tactique l'esprit doit avoir la même position que dans la vie quotidienne. Dans la vie courante ou au moment d'appliquer la tactique rien ne doit changer. Conservez un esprit vaste, droit, sans trop de tension ni aucun relâchement, évitez qu'il soit unilatéral, maintenez-le au juste milieu, faites-le agir tranquillement de façon que cette agitation ne s'arrête même un seul instant : réfléchissez bien à tout cela.

Même si le corps est en position tranquille l'esprit, lui, ne doit pas demeurer tranquille. Même si le corps agit très rapidement, l'esprit, quant à lui, ne doit pas du tout agir rapidement. L'esprit ne suit pas le corps et le corps ne suit pas l'esprit. Prêtez attention à l'esprit mais ne prêtez pas attention au corps. N'ayez pas l'esprit étroit mais ne débordez pas d'esprit. Même si la surface de l'esprit est faible, le fond de l'esprit doit être fort. Rendez votre esprit indécelable par les autres. Tous ceux qui possèdent un corps petit doivent avoir en esprit tout ce qui se passe dans un corps grand; tous ceux qui possèdent un corps grand doivent avoir en esprit tout ce qui se passe dans un corps petit. Qu'il s'agisse d'un corps grand ou d'un corps petit on doit posséder un esprit droit et il est important de conserver un esprit dégagé de tout sentiment de faiblesse vis-à-vis de soi-même.

Il faut maintenir sans tache et large notre esprit, en même temps que maintenir vaste notre sagesse. Il est essentiel de polir assidûment la sagesse et l'esprit. Pourvu que l'on polisse la sagesse, que l'on sache discerner les avantages et inconvénients du monde, que l'on connaisse le bon et le mauvais côté des choses, que l'on pénètre tous les arts ou toutes les Voies, que l'on ne puisse plus être trompé par aucun, alors notre esprit est apte à aborder la sagesse de la tactique. Quant à la sagesse de la tactique (duel ou bataille), elle est très différente des autres.

Même au plus fort de la mêlée d'une bataille, il faut rechercher les vérités de la tactique et bien réfléchir afin d'atteindre l'esprit immobile.

La tête ne doit être ni inclinée en avant ni rejetée en arrière ni penchée sur le côté. Les yeux ne doivent pas errer de ci, de là. Ne pas plisser le front mais froncer les sourcils. Eviter les mouvements de pupilles et les battements de paupières. Cligner un peu des yeux. Garder un visage décontracté, le nez non tiré. Redresser un peu le menton. Pour la nuque, elle doit être droite et il faut y concentrer sa force qui doit également être répartie des épaules à la totalité du corps. Epaules dégagées, maintenir toujours droite la colonne vertébrale. Le bas des reins ne doit pas être proéminent, mettre de la force dans les genoux et la pointe des orteils, tendre le ventre afin de ne pas avoir les reins courbés. « Fixer la clavette », c'est-à-dire bien appuyer le ventre sur la gaine du petit sabre afin de ne pas donner de lest à votre ceinture.

En bref, dans l'attitude que l'on doit avoir dans la tactique, l'essentiel est que le comportement quotidien devienne comportement de la tactique et que le comportement de la tactique devienne comportement quotidien. Réfléchissez-y bien.

La position doit permettre de voir largement et vastement. Entre voir et regarder, voir est plus important que regarder. L'essentiel dans la tactique est de voir ce qui est éloigné comme si c'était proche et de voir ce qui est proche comme si c'était éloigné. L'important dans la tactique est de connaître le sabre de l'adversaire, mais de ne pas regarder du tout ce sabre adverse. Méditez bien là-dessus. Cette position des yeux convient aussi bien dans la tactique du simple duel que dans une bataille.

Le premier point est de savoir regarder de côté sans bouger les pupilles. Toutes ces positions ne peuvent être acquises d'un seul coup dans les moments d'urgences. Donc ayez bien en tête tout ce que j'ai écrit jusqu'ici, gardez bien cette position des yeux dans la vie quotidienne et en toutes occasions ne modifiez pas la position de vos yeux. Réfléchissez bien à tout cela.

Pour tenir un sabre en main, il faut que : pouce et index soient consciemment souples, le majeur ne doit être ni crispé ni relâché, l'annulaire et l'auriculaire doivent être consciemment serrés. Il n'est pas bon que l'intérieur des mains soit lâche.

Tenez votre sabre en pensant toujours qu'il doit couper votre adversaire. Au moment où vous êtes en train de pourfendre votre adversaire ne modifiez jamais l'intérieur de vos mains et maintenez votre sabre de telle façon qu'elles ne soient pas figées. Même si vous cinglez le sabre de votre adversaire ou bien l'interceptez sur le vôtre ou bien l'emprisonnez à l'aide du vôtre, ne modifiez que votre pouce et votre index selon votre volonté. Avant tout, ne manipulez le sabre qu'avec la ferme intention de pourfendre votre adversaire.

Qu'il s'agisse d'un exercice sur un condamné à la peine capitale ou d'un combat réel la position de vos mains est la même pour pourfendre un homme.

En bref, pour un sabre ou une main, le plus mauvais est de demeurer figé. La position figée correspond à une main morte. Ne jamais demeurer figé correspond à une main vivante. Il faut bien comprendre tout cela.

Position des pieds : les pointes doivent être légèrement libres alors que les talons sont fortement appuyés au sol. Mouvement des pieds : bien qu'il y ait de grands pas ou de petits pas, des pas lents ou rapides, selon les cas, il faut toujours être comme en marche normale. Les trois plus mauvais mouvements sont : jambes toujours en l'air, jambes molles et pieds fixes.

Dans cette Voie, les jambes « Yin » et « Yang » signifie ne pas actionner un seul des deux pieds. Que ce soit au moment de pourfendre, au moment de se reculer, même au moment d'intercepter, les deux jambes doivent être actives : droite-gauche, droite-gauche, c'est-à-dire « Yin » et « Yang ». J'insiste encore une fois sur le fait qu'il ne faut jamais actionner qu'une seule jambe. Réfléchissez-y bien.

Il y a cinq façons de se mettre en garde : sabre au-dessus de la tête, sabre dirigé en face de soi, pointe du sabre dirigé vers le bas, sabre dirigé vers la droite, sabre dirigé vers le côté gauche. Bien que l'on ait divisé la façon de se mettre en garde en ces cinq parties toutes ont un même but : pourfendre l'adversaire. Il n'y a aucune autre façon de se mettre en garde que ces cinq là.

Que vous soyez dans n'importe laquelle de ces cinq positions ne pensez jamais que cela est pour vous mettre en garde, mais que c'est uniquement pour pourfendre.

Il y a deux sortes de mises en garde : grande et petite. Choisissez la plus avantageuse selon les circonstances. Les trois premières des cinq positions citées ci-dessus : au-dessus de la tête, en face de soi et vers le bas sont des mises en garde substantielles. Les deux dernières, de chaque côté sont des jeux. Ces deux dernières mises en garde, à droite et à gauche, sont adaptées au cas où il n'y a aucun espace au-dessus de notre tête ou bien lorsque nous ne disposons d'aucun espace sur l'un des deux côtés. Il n'y a qu'à s'adapter aux circonstances : mises en garde à droite ou à gauche.

L'essentiel de cette Voie réside dans la mise en garde, sabre dirigé en face de soi. Cette mise en garde, sabre dirigé en face de soi, est le fond de toute mise en garde. Si vous étendez ce principe à la tactique de masse (bataille) alors cette mise en garde sabre dirigé en face de soi correspondra à la position d'un général en chef. A la suite de ce « général en chef » il y a les quatre autres mises en garde. Réfléchissez-y bien.

Connaître la Voie du sabre signifie que si l'on connaît bien la trajectoire, même si l'on manie seulement de deux doigts le sabre que l'on a l'habitude de porter, on est capable de le manier avec grande aisance.

C'est en voulant sabrer rapidement que l'on modifie sa trajectoire et que naissent les difficultés de maniement. Il est de beaucoup préférable de sabrer avec calme afin que ce maniement soit plus aisé.

C'est en voulant manier rapidement le sabre comme s'il était un éventail ou un couteau que l'on contrarie sa trajectoire et que son maniement devient difficile. Ce mauvais maniement s'appelle « hacher au couteau » et il est impossible de pourfendre de cette façon qui que ce soit avec un sabre. Une fois un coup porté de haut en bas, il est préférable de relever le sabre selon la trajectoire la plus aisée pour ce relèvement. Si l'on porte un coup horizontal, il vaut mieux revenir à l'horizontale, ainsi l'on peut revenir à une trajectoire correcte. Dans tous les cas allongez bien le coude et mettez de la force dans votre maniement, c'est là la Voie du sabre.

Si vous apprenez bien les cinq figures de maniement selon notre tactique, la trajectoire de votre sabre sera fixée et votre maniement deviendra aisé. Exercez-vous bien.

La première figure correspond à la mise en garde sabre dirigé en face de soi. La pointe de votre sabre doit être dirigée sur le visage de votre adversaire. Lorsque son sabre vous attaque, passez le vôtre sur la droite, puis au-dessus du sien. Alors que votre adversaire vous attaque une seconde fois répliquez de la pointe de votre sabre, puis maintenez-le pointe en bas et à l'attaque suivante relevez vivement votre sabre afin de gifler les mains de votre adversaire. Voilà la première figure.

Or ma description des cinq figures est insuffisante à une bonne compréhension. Pour bien comprendre ces cinq figures il faut en même temps se saisir d'un sabre et rechercher la Voie du sabre en pratiquant. En s'exerçant selon ces cinq formes on peut connaître la trajectoire de son propre sabre et de plus on peut parvenir à deviner comme il faut la trajectoire attaquante du sabre adverse. Ainsi on comprend qu'il n'y a aucune autre mise en garde possible pour notre école « des deux sabres » en dehors des cinq que j'ai citées. Exercez-vous bien.

La deuxième figure consiste à garder votre sabre au-dessus de la tête. Au moment de l'attaque adverse, abaissez brusquement le sabre sur l'adversaire. Si vous ne l'avez pas atteint, maintenez votre sabre dans la position dans laquelle il se trouve et au moment de la seconde attaque, relevez-le brusquement. Il en va de même pour l'attaque qui suivra.

Dans cette deuxième figure il y a plusieurs nuances et des rythmes divers, mais si l'on s'exerce suffisamment selon cette deuxième figure on sera capable de connaître en détail les cinq Voies du sabre. Ainsi on obtiendra la victoire d'une façon ou d'une autre. Etudiez bien tout cela.

Dans la troisième figure, adopter une garde basse pour une attaque du bas vers le haut comme si elle provenait du sol. Lorsque l'ennemi attaque, frappez ses mains au dessous de la garde du sabre. En faisant cela, il peut essayer de parer votre attaque. Si c'est le cas, déplacez-vous et entrez promptement sur le côté avec l'intention de le « pourfendre ». Cela signifie qu’à partir des attaques basses, vous devez frappez l'ennemi au moment même où il décide d'attaquer. La perception de ce moment est cruciale.

Vous rencontrerez souvent cette méthode, aussi bien en tant que débutant qu'avec une stratégie avancée. Vous devez vous entraîner longtemps au sabre long.

Gardez le sabre sur le côté gauche et frappez les mains de votre adversaire de bas en haut tandis qu'il s'apprête à vous frapper lui-même. Il va tenter de faire tomber votre sabre qui s'apprête à le cingler. Alors tout en visant à frapper ses mains, interceptez la trajectoire de son sabre en le pourfendant obliquement en remontant jusqu'à votre épaule. C'est là la trajectoire d'un sabre selon cette figure IV qui est aussi un moyen d'obtenir la victoire en interceptant la trajectoire du sabre de l'adversaire au moment où il vous attaque. Etudiez bien cela.

La cinquième figure correspond à la mise en garde sabre dirigé vers la droite. Ripostant à une attaque de votre adversaire relevez obliquement votre sabre du côté droit jusqu'au dessus de votre tête et depuis le dessus de votre tête pourfendez tout droit. Cette façon de faire est aussi nécessaire à la bonne compréhension de la trajectoire du sabre. Si l'on s'accoutume bien à ce maniement du sabre alors on devient capable de bien manier même les sabres lourds.

Je ne me perdrai pas dans les détails de ces cinq figures. Il faut qu'elles deviennent coutumières afin de bien connaître les divers maniements de sabres de notre école, d'apprendre les grandes lignes du rythme et de discerner la trajectoire du sabre adverse. Il faut s'habituer à ces façons de manier le sabre même au cours de combats. En discernant les intentions de l'adversaire et en utilisant des rythmes variés on obtiendra la victoire d'une façon ou d'une autre.

« Prendre garde sans prendre garde » signifie, au sens le plus profond, qu'il n'y a pas de mise en garde pour un sabre. Cependant, si l'on divise en cinq positions la façon de se garder on peut appeler cela une mise en garde. L'essentiel dans la position du sabre est qu'elle soit adaptée à pourfendre dans n'importe quelle direction que ce soit car cela dépend de la condition de l'adversaire, du lieu, de l'ambiance. Lorsque l'on descend un peu le sabre que l'on tient au-dessus de la tête c'est déjà le sabre dirigé en face de soi; si l'on juge qu'il est plus avantageux de remonter un peu le sabre dirigé en face de soi c'est déjà le sabre au-dessus de la tête. Si, selon les circonstances, on remonte un peu le sabre la pointe dirigée vers le bas c'est déjà le sabre dirigé en face de soi. Les positions à droite et à gauche lorsqu'elles sont quelques peu modifiées vers le centre selon les situations se transforment déjà en sabre dirigé en face de soi ou en sabre la pointe dirigé vers le bas.

C'est ainsi que le principe « prendre garde sans prendre garde » fut établi. Une fois que l'on tient un sabre le but à atteindre est de pourfendre l'adversaire de quelque façon que ce soit. Même si l'on intercepte, cingle, érafle, colle et cogne le sabre adverse qui s'apprête à nous pourfendre, tout est occasion de pourfendre l'adversaire. Sachez bien cela. Si vous pensez à intercepter, cingler, érafler, coller et cogner le sabre de votre adversaire alors vous manquerez de le pourfendre. Il est important au contraire de penser que tout est moyen de pourfendre.
Réfléchissez-y bien.

La disposition des forces dans la tactique de masse (batailles) correspond à une mise en garde. Tout est moyen permettant d'atteindre la victoire dans les combats. Une position figée est mauvaise. Il faut bien y songer.

Parmi les rythmes utilisés pour pourfendre un adversaire, il y a le rythme unique où les deux adversaires sont exactement dans la même position pour s'atteindre. Sentant que notre adversaire n'a pas encore pris sa décision, sans mouvoir notre corps ni nos idées, pourfendons le vite et directement. C'est en cela que consiste le rythme unique. Attaquez votre adversaire avant qu'il n'ait décidé dans sa tête de tirer son sabre, de le dégager ou bien de vous frapper; c'est cela le rythme unique. Apprenez bien ce rythme et exercez-vous bien à frapper vite selon un rythme rapide.

Lorsque nous nous apprêtons à attaquer, l'adversaire se recule vite et reprend rapidement sa tension. Dans un tel cas, feignez d'attaquer. Alors, l'adversaire sera tout d'abord en tension mais il se relâchera ensuite. A ce moment-là il faut attaquer sans délai. C'est là le rythme secondaire des reins. Les lecteurs ne comprendront pas facilement ce que je viens d'écrire, mais si quelqu'un leur explique en pratiquant, ils saisiront vite.

Lorsque votre adversaire s'apprête à vous attaquer en même temps que vous vous y apprêtez vous-même, votre corps prend la forme attaquante et votre esprit prend également une forme attaquante et vos mains frappent fort tout naturellement en partant du vide et à une vitesse allant « accélérant ». C'est le « sans pensée, sans aspect » et cela est très important. On rencontre très souvent ce coup. Il faut donc bien l'apprendre et s'y exercer.

Lorsque deux adversaires sont de force égale et au cours d'un corps à corps, l'un d'eux cherchera à vite reculer, à vite se dégager, ou bien à vite se débarrasser du sabre adverse en le cinglant. Dans ce cas, il faut élargir corps et esprit, manier le sabre après le corps, lentement et comme le flux. Ainsi, pourfendez largement et avec force. Une fois que vous connaissez ce coup, vous connaissez un très bon coup. Seulement, le plus important dans ce cas est de bien savoir estimer la position et la force de l'adversaire.

Lorsque vous vous apprêtez à attaquer votre adversaire, celui-ci essaie de passer à la contre offensive et tente d'écarter votre sabre en le cinglant. Alors, frappez-le d'un seul coup soit à la tête soit aux mains, soit aux jambes, au hasard. Selon la trajectoire de votre sabre, frappez n'importe où : c'est là l'éraflure au hasard. Il faut bien apprendre ce coup car on se trouve continuellement en présence de cette sorte d'attaque. Exercez-vous minutieusement à ce coup afin de bien le comprendre.

L'éraflure rapide comme une étincelle au cas où les lames des deux sabres adverses sont entremêlées. Alors, donnez un coup fort sans relever votre sabre. Pour cela, il faut mettre de la force dans les jambes, le corps et les mains. Il faut porter un coup rapide grâce à la force ainsi répartie. On ne peut atteindre à ce coup sans exercices assidus, mais si on est bien forgé alors on est capable d'assener un coup fort.

Ce coup de feuille d'érable consiste à faire tomber le sabre adverse et à reprendre notre position de mise en garde avec notre sabre. Tout d'abord votre adversaire était en garde, face à vous, en train de penser à vous atteindre ou à vous cingler ou bien à se défendre. Alors vous frappez fort son sabre soit selon le coup sans penser, sans aspect, soit selon l'éraflure rapide comme une étincelle, puis ne cessez de coller à son sabre la pointe du vôtre frappant vers le bas, alors le sabre de votre adversaire ne manquera pas de tomber. Si vous vous exercez bien à ce coup il vous sera facile de faire tomber le sabre adverse. Exercez-vous bien.

Le corps qui remplace le sabre pourrait être appelé aussi le sabre qui remplace le corps. En général on dit que lorsque l'on porte un coup à l'adversaire, le corps et le sabre ne manœuvrent pas ensemble. Selon les formes d'attaque de l'adversaire notre corps prend d'abord la forme attaquante, ensuite notre sabre porte son coup à l'ennemi indépendamment de notre corps. Ou bien dans certains cas, notre corps ne bouge pas et seul notre sabre passe à l'attaque de l'adversaire, mais dans les grandes occasions, c'est le corps qui attaque tout d'abord et le sabre suit. Réfléchissez-y bien et apprenez ces coups.

Les coups sont une chose et les éraflures en sont une autre. Toutes les sortes de coup sont portées sciemment et avec certitude. Les éraflures ne sont que des touches. Même si les éraflures sont profondes au point que l'adversaire en meure sur le coup, ce ne sont encore que des touches. Tandis que les coups sont portés sciemment. Réfléchissez-y bien.

Erafler les mains ou les jambes de l'adversaire signifie les toucher d'abord en vue de porter un coup plus fort ensuite. Donc éraflure ne signifie que toucher. Si l'on s'exerce bien on comprendra facilement la différence entre les deux. Méditez bien là-dessus.

La position du singe de l'espèce aux mains courtes signifie ne pas avancer les mains. Lorsque vous avancez votre corps vers votre adversaire, n'ayez jamais l'idée d'avancer vos mains et avant que votre adversaire n'ait eu le temps de vous porter un coup rapprochez vite votre corps de lui. Si vous avez l'intention d'avancer les mains alors votre corps restera sûrement en arrière. Plutôt, remuez vite votre corps tout entier. Si deux adversaires sont à portée de mains, il est facile d'arriver au corps à corps. Réfléchissez-y bien.

Laqués ou collés signifie que les corps des deux adversaires sont très rapprochés et ne se séparent plus. Lorsque nous approchons du corps de notre adversaire collons-nous fort à lui par la tête, le tronc et les jambes. Bien qu'en général les gens approchent vite leur visage et leurs jambes, leur corps est sujet à demeurer en arrière. Il faut donc bien coller son corps à celui de l'adversaire et y adhérer de façon à ce qu'il n'y ait aucun espace. Réfléchissez-y bien.

Lorsque vous approchez de votre adversaire, ne vous ratatinez en aucun cas, mais dressez-vous sur vos jambes, sur vos reins et redressez votre cou. Rapprochez-vous fort de lui et juxtaposez votre visage au sien, puis redressez-vous comme si vous vouliez gagner par votre hauteur à un concours de taille. Il est important de vous rapprocher fortement de votre adversaire de cette manière. Méditez bien là-dessus.

Lorsque votre adversaire vous attaque et que vous aussi portez un coup de sabre qu'il intercepte, alors fixez votre sabre sur le sien auquel il doit adhérer et par le fait rapprochez-vous bien. L'adhérence doit se faire avec l'intention de ne plus détacher votre sabre. Vous devez vous approcher de votre adversaire sans y mettre trop de force. Votre propre sabre doit être bien fixé au sien et y adhérer. Si vous vous approchez très calmement de votre adversaire ce n'est pas mal du tout.

L'adhérence est une chose et l'enchevêtrement en est une autre : l'adhérence est forte tandis que l'enchevêtrement est faible. Il faut bien les distinguer.

Cela signifie foncer sur l'adversaire en s'approchant tout près de lui. Détournez un peu la tête, mettez votre épaule gauche de face et lancez-la dans la poitrine de votre adversaire. Pour vous élancer, il faut mettre le plus de force possible. Il faut bondir avec souplesse, sur un rythme vivace. Si vous apprenez bien ce bond, il peut devenir tellement fort que votre adversaire sera projeté de quatre à six mètres. Ou bien vous pourrez cogner tellement fort que votre adversaire en mourra sur le coup. Exercez-vous-y bien.

Les trois sortes d'interception sont les suivantes :

1) pour intercepter le sabre de votre adversaire qui vient vers vous au moment où vous vous rapprochez de lui, il faut viser ses yeux comme si vous vouliez les piquer de la pointe de votre sabre, puis faire dévier sur la droite le sabre adverse.
2) La seconde est appelée « interception en fente ». Interceptez à l'aide d'une fente le sabre adverse qui vient vers vous. Agissez comme si vous visiez l'oeil droit de votre adversaire et comme si vous vouliez pincer son cou.
3) Si au moment où votre adversaire vous attaque, vous vous approchez de lui avec un sabre court, ne cherchez pas à intercepter son sabre, mais approchez-vous de votre adversaire comme si vous vouliez fendre de votre main gauche son visage.

Ce sont les trois sortes d'interception. Dans tous les cas, il faut serrer le poing gauche avec lequel vous voudriez atteindre le visage de votre adversaire. Exercez-vous-y bien.

Lorsque votre sabre et celui de votre adversaire sont de même force et bloqués, dans leur enchevêtrement il est important de toujours rechercher à piquer le visage de votre adversaire de la pointe de votre sabre. Si vous recherchez à piquer son visage, alors il rejettera sa tête et son corps en arrière. Si vous parvenez à ce que votre adversaire rejette sa tête et son corps en arrière, alors vous aurez plusieurs occasions de parvenir à la victoire. Méditez bien là-dessus. Au cours du combat, si votre adversaire est sujet à rejeter son corps en arrière, la victoire sera déjà à vous. Ainsi n'oubliez pas de rechercher à piquer son visage. Exercez-vous bien selon ces moyens avantageux au cours de l'exercice de la tactique.

Dans les cas où, au cours de combats, il vous est impossible de pourfendre votre adversaire parce que votre champ d'action est fermé au-dessus et sur les côtés, cherchez à piquer votre adversaire. Placez le dos de votre sabre horizontalement face à lui, en faisant un petit mouvement en arrière de votre sabre afin de ne pas dévier et piquez la poitrine de votre adversaire. Ainsi vous pourrez faire dévier son sabre attaquant. Ce moyen convient bien aux cas où vous vous sentez fatigué ou lorsque votre sabre n'est pas très tranchant. Sachez bien discerner cela.

Les cris « Kâtsu ! » et « Tôtsu ! » sont utilisés dans les cas suivants : lorsque vous portez un coup à votre adversaire et que vous le dominez, votre adversaire s'apprête à passer à la contre offensive, alors relevez votre sabre depuis le bas en cherchant à le piquer, puis pourfendez-le d'un second coup. Ces deux mouvements doivent être exécutés à un rythme très rapide : piquez depuis le bas « Kâtsu ! », puis pourfendez « Tôtsu ! ». Ces rythmes se rencontrent dans tous les échanges de coups. Pour procéder à « Kâtsu ! » et « Tôtsu ! »: élevez la pointe de votre sabre en recherchant à piquer votre adversaire et en même temps que vous élevez votre sabre pourfendez d'un seul coup. En pratiquant bien, examinez bien tout cela.

Lorsqu'au cours d'échanges de coups avec votre adversaire le rythme devient piétinements, claquez tout d'abord le sabre attaquant adverse à l'aide du vôtre, puis portez-lui un coup. Ce claquement n'a pas besoin de se produire avec force et n'a pas la signification d'une interception. Vous adaptant au sabre de votre adversaire qui vous attaque, vous le claquez, et aussitôt portez un second coup. Il est important que vous preniez l'initiative tout d'abord par le claquement et de la conserver ensuite par ce coup. Si vous devenez habile au rythme du claquement, si fort que soit le coup de votre adversaire, la pointe de votre sabre ne s'inclinera pas quand bien même votre claquement serait petit. Apprenez bien cela et réfléchissez-y bien.

Je veux parler ici du cas où vous êtes seul face à plusieurs adversaires. Tirez votre sabre et votre petit sabre et mettez-vous en garde en étendant largement et à l'horizontale vos sabres de chaque côté de votre corps. Même si vos adversaires vous attaquent sur quatre côtés cherchez à les pourchasser dans une seule direction. Sachez bien discerner parmi vos adversaires les premiers attaquants de ceux qui suivent et passez à la contre-offensive vivement en commençant par ces premiers attaquants. Que vos regards embrassent le tout et saisissez le plan d'attaque de vos adversaires. Portez des coups à la fois de votre sabre droit et de votre sabre gauche. Une fois les coups portés il est très mauvais de se figer dans l'attente. Immédiatement retournez à votre position de mise en garde, vos sabres de chaque côté. Pénétrez fort parmi vos assaillants, renversez-les, sans relâche foncez sur les nouveaux et écrasez-les également.

Il est important de rechercher par tous les moyens à pourchasser les adversaires en les ayant en file indienne comme des poissons enfilés les uns derrière les autres sur un même fil. Si vous voyez que vos adversaires sont l'un derrière l'autre, portez fort des coups sans répit. Si vous ne vous préoccupez que de pourchasser vos adversaires groupés, ce n'est pas bien. Si vous ne vous préoccupez que de répliquer au fur et à mesure à chaque adversaire qui vous attaque, ce n'est pas bien non plus car il y a attente. Après avoir trouvé le rythme de vos adversaires, recherchez leurs points faibles afin de pouvoir les abattre et ainsi, parvenez à la victoire.

Au cours de vos exercices essayez de rassembler plusieurs personnes pour vous servir d'adversaires et rechercher le moyen le meilleur de les pourchasser. Alors vous deviendrez capable de combattre sans aucune inquiétude, seul face à un unique aussi bien qu'à dix ou vingt adversaires. Exercez-vous bien et réfléchissez bien.

Grâce à des échanges de coups l'on peut comprendre d'où vient la victoire dans la tactique et le sabre. Il est impossible de le relater en détail. C'est après une étude assidue que l'on peut comprendre d'où vient la victoire. Cette efficacité des échanges de coups est en somme le maniement des sabres qui exprime la vraie voie de la tactique. L'explication ne peut en être que verbale.

On peut être certain de la victoire grâce à ce moyen « d'un seul coup ». Sans bien étudier la tactique on ne peut y parvenir. Si on s'exerce bien à ce coup unique, la tactique devient familière et ce moyen deviendra la Voie menant à une victoire aisée. Etudiez-le bien.

L'esprit pénétrant est transmis par le Voie véritable de notre école « des deux sabres ». Exercez-vous bien et il est important de bien adapter au corps cette tactique. L'explication ne peut en être verbale.

Tout ce que j'ai écrit plus haut était une explication en grandes lignes, en un seul chapitre, de l'escrime selon notre école.

Pour parvenir à une victoire, dans la tactique du maniement du sabre, il faut passer par les processus suivants :

Tout d'abord, bien connaître les cinq mises en garde grâce aux cinq figures, assouplir le corps entier par la connaissance approfondie des trajectoires du sabre, bien saisir le rythme de la Voie sous l'effet d'un jugement correct, perfectionner le maniement du sabre jusqu'à ce qu'il devienne tout naturel, le corps et les jambes doivent évoluer en toute liberté, ainsi au fur et à mesure que l'on vainc une personne après l'autre, on parvient à comprendre ce qu'il y a de bon ou de mauvais dans la tactique. Pratiquez selon chaque paragraphe de ce livre et combattez chacun de vos adversaires. Ainsi vous comprendrez progressivement les principes (avantages) de la Voie. Il faut que tout cela soit toujours présent dans votre tête et il ne faut pas vous hâter. Selon les circonstances, apprenez de temps à autre les vertus de la tactique. Il faut que vous combattiez contre toutes sortes de gens et ainsi vous pourrez connaître leurs pensées. Sur le chemin le plus long, on avance pas à pas. Réfléchissez-y sans vous hâter. Prenez la pratique de ces règles pour fonction de samouraï. Aujourd'hui vainquez le « moi » d'hier et demain vainquez celui qui vous est inférieur, puis un autre jour vous vaincrez ceux qui vous sont supérieurs. Agissez comme il est dit dans ce livre et faites attention de ne pas dévier de votre chemin.

Lorsque vous avez vaincu un adversaire quelconque, si vous l'avez fait contrairement aux principes, ce n'est pas la Voie véritable. Si vous avez présente à l'esprit l'efficacité de la tactique, vous aurez l'esprit de vaincre à vous seul plusieurs dizaines de personnes. Ainsi, par l'intelligence dans l'escrime, vous aurez atteint la compréhension de la tactique de masse ou individuelle. Forgez-vous par l'étude de dix mille jours et polissez-vous par l'étude de dix mille jours. Il faut bien y réfléchir.

Le 12 mai de la seconde année de Shôho, Shimmen Musashi, à Monsieur Terao Magonojô.

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Chapitre 3 - « Feu »

Comparons la tactique de notre école « des deux sabres » et le combat, à un feu. Dans ce chapitre « feu », je traite de tout ce qui concerne le combat, la victoire et la défaite.

En général, les gens prennent toujours le principe de la tactique pour du bricolage. Ou bien certains veulent connaître les mouvements des doigts et des poignets, ou bien, d'autres, un éventail à la main, voudraient décider de la victoire ou de la défaite selon le mouvement des avant-bras exécuté trop tôt ou trop tard. Ou bien, d'autres encore, un sabre de bambou à la main, voudraient acquérir une micro rapidité de mouvement, la manœuvre des mains et des pieds et obtenir ainsi l'avantage sur leurs adversaires grâce à la rapidité.

Mais dans ma tactique, on combat en risquant sa vie au cours de plusieurs combats, on discerne les deux principes de la vie et de la mort, on apprend la Voie du sabre, on jauge la force ou la faiblesse des coups de sabre de nos adversaires, on saisit bien la trajectoire du tranchant et du dos des sabres, et ainsi forgé on devient capable d'abattre ses adversaires. En conséquence bricolage et faiblesse sont hors de question. Surtout dans un combat avec port d'armure, un bricoleur ne sert à rien. De plus dans un combat où l'on risque sa vie, il arrive que l'on soit seul contre cinq ou dix adversaires. La tactique selon ma Voie doit connaître avec certitude le chemin de la victoire même en ce cas-là. En conséquence, quelle différence dans le principe pourrait-il y avoir entre un combat à un contre dix et un combat à mille contre dix mille ? Réfléchissez-y bien.

Cependant, au cours de l'exercice quotidien, il est impossible de réunir mille ou dix mille personnes afin d'étudier cette Voie. Donc, même si l'on se trouve seul lorsqu'on saisit un sabre, il faut découvrir les stratagèmes d'un adversaire supposé, juger sa force ou sa faiblesse de moyens, comprendre quels sont les moyens d'avoir la victoire sur tout le monde grâce à l'intelligence de la tactique et ainsi on devient un expert en cette Voie. Que votre cœur affirme bien : « Qui au monde, en dehors de moi, pourrait obtenir la Voie véritable de la tactique de notre école et l'approfondir jusqu'à son point ultime ? ». Forgez-vous bien du matin au soir et polissez-vous bien. Et ainsi vous obtiendrez l'aisance, parviendrez sans effort au prodige, à l'extraordinaire. Tout cela est à la base de l'exécution de la Loi par la tactique.

Le choix de la configuration des lieux de combat est important. Par exemple, il faut choisir un emplacement où on aura le soleil dans le dos, c'est-à-dire que nous procéderons à notre mise en garde en ayant le soleil dans le dos. Si, selon les circonstances vous ne pouvez avoir le soleil dans le dos, tâchez de l'avoir sur votre droite. Il en va de même à l'intérieur d'une salle : ayez la lumière dans le dos ou sur votre droite. Evitez d'avoir une impasse derrière vous et il sera préférable de vous mettre en garde en ayant un espace plus vaste sur le côté gauche et un espace plus étroit sur le côté droit. Même dans l'obscurité, si votre adversaire est visible, il faut vous mettre en garde de même en ayant la clarté dans le dos ou sur le côté droit.

On dit qu'il faut regarder de haut ses adversaires. Prenez soin de vous mettre en garde dans un endroit élevé, si peu que ce soit. Dans une pièce, prenez la place d'honneur pour l'endroit le plus haut.

Or, une fois que le combat a débuté, pourchassez vos adversaires sur votre gauche. Efforcez-vous de les faire reculer vers l'endroit le plus difficile. En tout cas, il est très important de les faire reculer vers l'endroit le plus difficile. Aussi, il faut empêcher l'adversaire de regarder et de voir les caractéristiques d'un endroit difficile. Il faut donc éviter que les regards de l'adversaire puissent se promener alentour : assaillez-le sans cesse. Dans une pièce, poursuivez votre adversaire vers un seuil, sous des linteaux de portes, portes, portes coulissantes, galeries ou piliers. Dans ces cas-là aussi, il faut éviter que les regards de l'adversaire puissent se promener alentour. Dans tous les cas, il faut pourchasser vos adversaires vers les endroits où leurs pieds ne trouveront pas un bon appui, ou bien dans les endroits où ils seront gênés sur le côté. En toutes occasions, utilisez le terrain le plus avantageux pour vous, et dès le début ayez la supériorité sur votre adversaire au point de vue topographie des lieux. Réfléchissez-y bien et exercez-vous bien.

Il y a trois façons de prendre l'initiative :

1) Prendre l'initiative d'attaquer le premier l'adversaire. C'est l'initiative de provocation.
2) L'initiative à prendre lorsque l'adversaire attaque. C'est l'initiative d'attente.
3) Initiative à prendre lorsque l'adversaire attaque en même temps qu'il est attaqué. C'est l'initiative mutuelle.

Ce sont là trois façons de prendre l'initiative. Dans tout combat, au début, il n'y a que ces trois façons de prendre l'initiative. Selon la façon de prendre l'initiative on peut déjà parvenir à la victoire. Donc, prendre l'initiative est la première chose à faire dans la tactique. Plusieurs détails apparaissent dans la manière de prendre l'initiative. Selon les circonstances et l'occasion, en épiant les intentions de l'adversaire, prendre l'initiative. Ainsi, l'on parvient à la victoire grâce à la sagesse de la tactique. Je ne puis décrire ici chaque cas en détail.

1) Initiative de provocation : elle est de plusieurs sortes. Si vous voulez attaquer le premier, demeurez calme et, brusquement, attaquez avec rapidité et ainsi, prenez l'initiative. Attaquez extérieurement fort et avec rapidité, tandis que le fond de votre esprit reste stagnant. Ou bien mettez de la force coûte que coûte dans votre esprit, et manœuvrez vos jambes un peu plus rapidement qu'à l'habitude, et aussitôt que vous approchez du côté de votre adversaire, passez à l'assaut d'un seul coup. C'est là l'initiative. Ou bien laissez votre esprit dans le vague et ayez constamment la ferme volonté de passer à l'assaut de votre adversaire du début à la fin du combat. Mettez votre force jusqu'au fond de votre esprit afin de parvenir à la victoire. Tout cela est « initiative de provocation ».
2) Initiative d'attente : lorsque votre adversaire passe à l'assaut et arrive vers vous, demeurez indifférent et faites semblant d'être faible. Lorsqu'il se rapproche encore plus, reculez fort et faites semblant de bondir en arrière. Lorsque vous découvrez que votre adversaire ralentit quelque peu son assaut, passez d'un seul coup à la contre-offensive et enlevez la victoire. C'est le premier cas. Lorsque votre adversaire passe à l'assaut, vous aussi passez encore plus fort à l'assaut. Et si le rythme de l'assaut de votre adversaire change, utilisez bien cette occasion et enlevez la victoire. C'est aussi un principe de l'initiative d'attente.
3) Initiative mutuelle : si votre adversaire a un assaut rapide, alors, que le vôtre soit tranquille mais fort. Puis, lorsque votre adversaire s'approche encore plus de vous, prenez une mise en garde décisive et saisissant un instant d'hésitation chez votre adversaire attaquez-le fort immédiatement et enlevez la victoire. Lorsque votre adversaire passe à l'assaut tranquillement, vous passez aussi à l'assaut un peu rapidement, le corps un peu décontracté. Et lorsque votre adversaire s'approche un peu plus, corrigez-le un peu, et selon ses actions, emportez fortement la victoire. Ce sont les moyens de l'initiative mutuelle. Je ne puis décrire tout en détail.

Sur la base de tout ce que je viens d'écrire, réfléchissez bien. On adopte l'une de ces trois initiatives selon les circonstances et l'avantage qu'elles présentent sur le moment. Je ne dis pas qu'il faut que vous passiez toujours le premier à l'assaut, mais tout de même, il vaut mieux avoir l'assaut de votre côté afin de manœuvrer l'adversaire. Dans tous les cas, prendre l'initiative signifie parvenir à la victoire sous l'effet de l'intelligence de la tactique. Exercez-vous bien.

« Presser l'oreiller de l'adversaire » signifie l'empêcher de relever sa tête. Dans un combat de la tactique, il est mauvais d'être manœuvré par un adversaire et d'agir en retard. Il faut vouloir par tous les moyens manœuvrer notre adversaire selon notre volonté.

En conséquence, comme vous-même, votre adversaire en a aussi l'intention. On ne peut y parvenir sans avoir au préalable saisi ses intentions. Dans la tactique, on arrête tous les coups que s'apprête à porter l'adversaire, on déjoue toutes les feintes qu'il s'apprête à exécuter, et on sait se dégager avant qu'il n'exécute une prise. Tout cela est contenu dans l'expression « presser l'oreiller de l'adversaire ». Lorsque nous sommes face à un adversaire, il faut que, basés sur notre tactique authentique, nous sachions déceler le plus petit bourgeon qui germe dans sa tête avant qu'il ne passe à son exécution. Si votre adversaire s'apprête à vous porter un Coup, pressez la tête de la lettre « C », et ne le laissez pas continuer. C'est cela « presser l'oreiller de l'adversaire ». Si votre adversaire passe à l'Assaut, pressez la tête de la lettre « A », si votre adversaire s'apprête à Bondir, pressez la tête de la lettre « B », et si votre adversaire s'apprête à vous Pourfendre, pressez la tête du la lettre « P ». Tout revient au même.

Lorsqu'un adversaire s'active contre nous, il faut le laisser procéder aux actes inutiles et réprimer ses actes utiles afin de l'empêcher de continuer. C'est très important dans la tactique. Mais si vous êtes uniquement préoccupé de toujours réprimer les actes de l'adversaire, c'est déjà « après coup ». L'essentiel est que vos actions, quelles qu'elles soient, suivent la Voie de la tactique et que vous comprimiez au fur et à mesure les germes d'intention qui naissent dans le cerveau de l'adversaire. Rendez-les inutiles et ainsi manœuvrez votre adversaire. C'est ce que les experts de la tactique sont capables de faire. On y parvient en se forgeant. Réfléchissez bien sur ce « presser l'oreiller de l'adversaire ».

Pour passer en pleine mer, il faut parfois franchir des détroits ou bien de vastes mers de cent ou deux cent kilomètres et au long de ce parcours on aura à traverser des courants critiques. De même dans notre traversée du monde, nous aurons à traverser des courants critiques dans notre vie. Pour qu'un bateau puisse bien suivre son chemin, il faut connaître les courants critiques, bien connaître la position du bateau et la météorologie. Ainsi, ce bateau peut naviguer par ses propres moyens, sans l'aide d'aucun autre bateau compagnon. Selon les circonstances, on navigue grâce à des vents de bâbord ou de tribord, ou bien avec le vent en poupe. Si parfois le vent change, ayez la ferme volonté d'arriver au port, même s'il vous faut ramer sur dix ou quinze kilomètres. En naviguant ainsi, vous pourrez franchir les courants critiques.

Pour traverser le monde humain, il faut avoir cette philosophie. Ayez la ferme volonté de traverser le courant critique dans les moments de crise.

Au cours des combats de la tactique, il est important de franchir ce courant critique. De même façon que le bon navigateur franchit les mers, traversons les courants critiques en saisissant la position de nos adversaires, en connaissant bien les qualités de notre technique et en nous basant sur les principes de la tactique. Si l'on dépasse le courant critique, on se trouve déjà en sécurité. Une fois le courant critique dépassé, on fait naître des points faibles chez l'adversaire, on prend l'initiative et on a atteint une grosse partie de la victoire. Ce passage du courant critique est important dans la tactique qu'elle soit de masse (bataille), ou individuelle. Réfléchissez-y bien.

Dans la tactique de masse (bataille), la conjecture se décompose en : sentir le degré de vitalité des adversaires, deviner les intentions des troupes ennemies, savoir saisir les conditions offertes sur le moment et savoir tirer les conjectures se rapportant aux ennemis, savoir choisir quelle attaque nos troupes devront effectuer. D'où certitude d'obtenir la victoire sur la base de la tactique. Il est important de combattre en sachant prendre l'initiative.

Il en va de même pour la tactique individuelle. Il faut comprendre l'école à laquelle appartient l'adversaire, juger de son caractère, discerner ses points faibles de ses points forts. Utiliser des moyens d'assaut différents de ceux que l'adversaire attend. Sentir les hauts et les bas dans la cadence de l'adversaire, et connaître ses rythmes. Ainsi, il est important de prendre l'initiative.

Si votre intelligence est forte, vous ne sauriez manquer de conjecturer toutes choses. Si vous obtenez la liberté de manœuvrer dans la tactique, vous devinerez bien toutes les intentions de votre adversaire d'où vous tirerez plusieurs moyens d'avoir la victoire. Méditez bien là-dessus.

L'expression « fouler le sabre » est spécialement utilisée dans la tactique. Tout d'abord, en ce qui concerne la tactique de masse (bataille), lorsque les ennemis tirent des flèches ou au fusil ou n'importe quoi, leur intention est, après ce tir, de passer à l'assaut. Donc, si nous passons une flèche dans l'arc ou mettons une balle dans le fusil, nous ne pouvons pas passer à la contre-offensive. Pendant que l'ennemi tire flèches ou balles, passez vite à la contre attaque. Si vous contre-attaquez vite, l'ennemi ne peut utiliser ni flèches ni balles. Cela signifie que, prenant les assauts de l'adversaire comme ils viennent, on obtient la victoire en « foulant » tout ce qu'il fait.

Il en va de même pour la tactique individuelle. Si nous passons à la contre-attaque après un coup de sabre de notre adversaire, le combat devient pêle-mêle et ne marche pas bien. Ayez en tête l'idée de fouler aux pieds le sabre attaquant adverse. Et ainsi portez un coup dès que votre adversaire s'apprête à vous attaquer et empêchez-le de mener à bien une seconde attaque. Lorsque je dis « fouler », cela ne signifie pas nécessairement fouler avec les pieds. Foulez même avec votre corps, avec votre esprit, et, naturellement, avec votre sabre. Ainsi, faites toujours attention d'empêcher toute seconde attaque de votre adversaire.

Tout cela suit le même principe que prendre l'initiative en toute chose. Bien que j’ai dit « une seule fois », cela ne signifie pas de foncer sur l'adversaire, mais de continuer de coller à lui. Réfléchissez-y bien.

En toute chose il y a effondrement : la maison s'effondre, le corps s'effondre, et un adversaire s'effondre. Le moment venu; le rythme change, et ainsi l'effondrement se produit.

Dans la tactique de masse, il faut connaître le rythme afin que les adversaires s'effondrent. Il est important de les pourchasser immédiatement sans laisser s'écouler aucun temps. Si vous perdez du temps à souffler pendant cet effondrement, alors vos adversaires auront le temps de se restaurer.

Dans la tactique individuelle, au cours d'un combat, le rythme de l'adversaire devient désordonné et son effondrement apparaît. Si vous laissez passer cette occasion, il se restaurera, aura une énergie nouvelle, et le combat ne marchera pas bien. Il est important de poursuivre à coup sûr au moment des premiers symptômes d'effondrement, afin que l'adversaire ne puisse se restaurer. Il faut poursuivre d'une manière directe et forte et lui porter un coup décisif afin qu'il ne puisse se restaurer. Réfléchissez bien à ce coup décisif. Si votre coup n'est pas décisif, le duel sera tiède. Méditez bien là-dessus.

« Devenez votre adversaire » signifie vous mettre complètement à sa place. Si nous voulions placer cela dans la vie quotidienne, nous pourrions le comparer à des gens qui s'imaginent qu'il est fort bien qu'un voleur soit enfermé dans une bâtisse après son méfait. Ils pensent qu'il est féroce, mais mettez vous à la place du voleur. Seul, il tient tête à tout le monde et il est plutôt terrifié de se voir encerclé sans découvrir aucune issue. Celui qui est encerclé est comme le faisan et ceux qui lui donnent l'assaut sont comme des faucons. Méditez bien là-dessus.

Dans la tactique de masse, on a tendance à penser que les ennemis sont forts, et on devient trop prudent. Mais si on dispose d'un nombre d'hommes suffisants, connaît bien toutes les théories de la tactique et sait bien saisir la chance de la victoire, l'on a rien à craindre. Dans la tactique individuelle, il faut se mettre à la place de l'adversaire afin qu'il se sente déjà battu face à quelqu'un qui connaît bien la tactique, est fort en théorie et expert en arts martiaux. Réfléchissez-y bien.

« Séparer les quatre mains » signifie que lorsque votre adversaire et vous même avez les mêmes idées, que vous êtes à égalité et que vous stagnez dans un piétinement, votre combat n'avance plus. Si vous vous trouvez dans cette situation, abandonnez vite votre intention première. Enlevez la victoire par quelque autre moyen efficace.

Dans la tactique de masse, si le combat piétine comme quatre mains immobilisées (les vôtres et celles de votre adversaire), on ne fait que perdre des hommes. En ce cas, abandonnez vite l'idée première : il est important d'enlever la victoire selon un moyen efficace, inattendu de vos adversaires.

De même dans la tactique individuelle, si vous vous trouvez dans une position de quatre mains immobiles, modifiez vite votre pensée. Il est important d'enlever la victoire en saisissant la position de votre adversaire et en utilisant ainsi un moyen spécialement efficace et inattendu. Sachez bien discerner tout cela.

« Faire bouger l'ombre » est applicable au moment où l'on ne peut parvenir à discerner les intentions d'un adversaire. Dans la tactique de masse, lorsque vous ne réussissez par aucun moyen à discerner les intentions de vos ennemis, faites semblant de passer fortement à l'assaut et ainsi vous pourrez voir ce qu'ils veulent faire. Une fois que vous aurez saisi leurs intentions il vous sera facile d'enlever la victoire à l'aide d'un moyen efficace convenant aux circonstances.

Dans la tactique individuelle aussi, lorsque votre adversaire maintient son sabre derrière lui ou bien à son côté, vous ne pourrez pas deviner ses intentions. Alors, si vous feignez de lui porter brusquement un coup, il trahira sa pensée, ses intentions par son sabre. Une fois que vous connaîtrez ses intentions, il est certain que vous emporterez la victoire en poursuivant les avantages dus aux circonstances. Mais si vous êtes distrait, votre rythme se relâchera. Réfléchissez-y bien.

« Comprimer l'ombre » est adapté au moment où vous sentez chez votre adversaire l'intention de manœuvrer.

Dans la tactique de masse, on dit qu'il faut comprimer l'idée de manœuvrer qui germe dans la tête des ennemis. Si vous laissez voir explicitement à vos adversaires votre compression de leur tactique, pressé par votre force, ils changeront d'idées. Alors, de votre côté, changez aussi d'idées, prenez une initiative issue d'un esprit vide et enlevez la victoire.

Dans la tactique individuelle, selon le rythme qui vous est avantageux, empêchez qu'une intention forte ne germe dans l'esprit de votre adversaire et au moment où son intention est abandonnée par lui, prenez l'initiative sur le chemin de la victoire. Méditez bien là-dessus.

Chaque chose obéit à un phénomène de transmission. Ou bien c'est le sommeil qui se communique, ou bien c'est un bâillement qui se communique. Les temps se succèdent.

Dans la tactique de masse lorsque vos adversaires sont encore sous le coup de l'excitation et qu'ils vous semblent se précipiter, prenez au contraire un air nonchalant comme si vous étiez indifférent. Alors, ils seront contaminés, et leur attention se relâchera. Lorsque vous saisissez le moment où ce relâchement s'est transmis à vos ennemis, de votre côté, l'esprit vide, passez à l'assaut rapidement et fortement. Ainsi vous pourrez avoir l'avantage sur le chemin de la victoire.

Dans la tactique individuelle aussi, que votre corps et votre mentalité semblent nonchalants. Sachez saisir le moment de relâchement de votre adversaire et prenez alors l'initiative fortement et rapidement. Il est important d'obtenir ainsi la victoire.

L'expression « enivrer » et cette action ont un sens similaire qui consiste soit à attirer des ennuis à l'adversaire, soit à rendre son action superficielle, soit à affaiblir son esprit. Méditez bien là-dessus.

On peut trouver en toutes choses ce manque d'équilibre. L'équilibre mental se perd en cas de danger, de difficultés ou de surprise. Réfléchissez-y bien.

Dans la tactique de masse, il est important de faire perdre leur équilibre mental à vos ennemis. Par surprise, passez à un assaut acharné de vos ennemis et avant qu'ils n'aient eu le temps de décider quoi que ce soit, prenez l'initiative de telle façon qu'elle soit avantageuse pour vous. Il est important d'obtenir ainsi la victoire.

Aussi dans la tactique individuelle, paraissez nonchalant au début, et tout à coup passez fortement à l'assaut. Continuez selon les hauts et les bas et selon les actions de votre adversaire, ne le laissez pas souffler, et conservez jusqu'au bout votre avantage. Il est important d'obtenir ainsi la victoire. Réfléchissez-y bien.

Effrayer existe en toutes choses et signifie provoquer une frayeur par surprise.

Dans la tactique de masse, effrayer des ennemis ne consiste pas uniquement à le faire visuellement, car on peut effrayer des ennemis par un bruit, ou bien en leur faisant croire que le petit nombre de combattants dont on dispose est plus important qu'il n'est en réalité, ou bien en les effrayant par une attaque surprise de côté. Tout cela peut être cause de frayeur. Sachez saisir le rythme de la frayeur de vos ennemis et parvenez à la victoire grâce à cet avantage.

Aussi dans la tactique individuelle, effrayez votre adversaire à l'aide de votre corps, de votre sabre, ou bien de vos cris. Attaquez par surprise d'une façon que votre adversaire n'a pu imaginer, et tirez avantage de sa frayeur, puis parvenez à la victoire. Cela est important, réfléchissez-y bien.

Si votre adversaire et vous-même êtes proches l'un de l'autre et que votre résistance mutuelle est très forte, que vous trouvez que rien ne marche bien, enchevêtrez-vous avec votre adversaire et pendant cet enchevêtrement sachez saisir une occasion avantageuse et enlevez la victoire.

Dans les tactiques de masse et individuelle, si vos adversaires et vous-mêmes êtes écartés et que votre résistance mutuelle est forte, alors vous ne trouverez aucune issue débouchant sur la victoire. Alors enchevêtrez-vous avec vos adversaires à tel point que l'on ne puisse vous distinguer les uns des autres, puis, pendant ce temps, saisissez l'occasion avantageuse et enlevez avec force la victoire. Cela est important, réfléchissez-y bien.

Parfois il est impossible de pousser un objet quelconque lourd directement de face. A ce moment-là, il vaut mieux le pousser de biais.

Dans la tactique de masse, sachez évaluer le nombre de vos ennemis et menez votre attaque contre la partie forte qui se trouve la plus en avant. Ainsi vous pourrez avoir l'avantage. Au fur et à mesure que la partie adverse qui se trouve en avant se relâche, tous les ennemis se relâchent aussi. Même pendant qu'ils sont en train de se relâcher, recherchez sans cesse à les attaquer de biais. Il est important d'enlever ainsi la victoire.

Même dans la tactique individuelle, si vous touchez le corps de votre adversaire de biais, son corps s'affaiblira petit à petit, tant soi peu, et finira par s'écrouler. A ce moment-là, il vous est facile d'avoir la victoire. Réfléchissez-y bien et comprenez bien les moyens d'avoir la victoire.

Faire naître une certaine tension nerveuse chez l'adversaire consiste à l'empêcher d'être sûr de lui.

Dans la tactique de masse, sur les champs de bataille, sachez déceler tout d'abord les intentions de l'ennemi et grâce à votre connaissance de la tactique, égarez votre adversaire afin qu'il ne reconnaisse plus « ici ou là », « ceci ou cela », « tôt ou tard ». Puis saisissez l'occasion de l'instant où il tombe en tension nerveuse et ainsi vous aurez la victoire.

Aussi dans la tactique individuelle, selon les cas, essayez différentes sortes d'assaut : ou vous semblez sur le point de frapper, ou bien de porter une botte, ou bien d'engager un corps à corps, ainsi vous ferez naître une certaine tension nerveuse chez votre adversaire et parviendrez aisément à la victoire. C'est là l'essentiel de tout combat. Réfléchissez-y bien.

Il y a trois sortes de cris :

- le premier cri,
- le cri du milieu,
- le cri final.

Ils correspondent exactement à un moment du combat. Le cri est un signe de force. Donc on crie face à un incendie. On crie pour vaincre le vent ou la vague. Le cri montre la force.

Dans la tactique de masse, le cri poussé au début doit être le plus exagéré possible, tandis que le cri poussé au cours du combat doit être d'un ton plus grave et venir de la profondeur du ventre. Après avoir enlevé la victoire, on pousse un grand cri fort. Ce sont là les trois sortes de cris.

Aussi dans la tactique individuelle, pour faire bouger l'adversaire on fait semblant de lui porter un coup en poussant un cri, et on porte le coup de sabre, après ce cri. Il arrive aussi qu'après avoir porté le coup on pousse un autre cri : c'est le cri de la victoire. Ces deux cris sont appelés « cris précédant et suivant ». Il faut éviter de pousser un grand cri en même temps que l'on porte un coup de sabre. Si l'on pousse un cri durant le combat c'est afin de se fixer sur un rythme. A ce moment-là on pousse un cri sur un ton grave. Réfléchissez-y bien.

Sur le zigzag

Le zigzag est appliqué dans la tactique de masse où deux armées sont face à face. Dans le cas où vos ennemis sont forts, portez vos assauts sur un angle de l'armée ennemie et si vous constatez que cette partie adverse s'est relâchée, abandonnez-la et reportez vos assauts sur un autre angle fort, puis un autre, c'est-à-dire attaquez en zigzag.

Dans la tactique individuelle, si vous êtes seul face à plusieurs adversaires, ce moyen est très important. Si une partie de vos adversaires est vaincue ou bien prend la fuite, passez à l'assaut de la partie forte. Selon le rythme de vos adversaires, attaquez tantôt à gauche, tantôt à droite, avec un rythme en zigzag. Faites-le sans perdre de vue l'état de vos adversaires. Si vous parvenez à saisir le degré de force de votre adversaire, alors passez fortement à l'assaut. Dans ce cas-là, n'ayez aucune restriction et parvenez à la victoire avec force. Lorsque vous n'avez qu'un seul adversaire à transpercer et si cet adversaire est fort, il faut garder cet état d'esprit. Connaissez bien ces assauts en zigzag, zigzag sans aucune idée de recul, même d'un pas.

Neutraliser, ici, signifie s'imaginer que les adversaires sont faibles, et ainsi se comporter avec force pour parvenir à les neutraliser.

Dans la tactique de masse, si vous jugez que vos ennemis sont peu nombreux, ou bien, s'ils sont nombreux et que vous découvriez chez eux une certaine tension nerveuse ou quelque autre point faible, neutralisez-les en rassemblant d'un seul coup toutes vos forces. Si votre neutralisation est faible, il peut arriver que vos ennemis se redressent. Ayez bien en tête cette idée de neutralisation de l'ennemi comme si vous écrasiez quelque chose entre vos doigts.

Dans la tactique individuelle, lorsque vous vous trouvez face à un adversaire qui vous est inférieur, ou bien lorsque le rythme de votre adversaire est perturbé, ou bien lorsque votre adversaire est sur le point de reculer, il est important de le neutraliser directement, sans le laisser souffler, en évitant de croiser son regard. Le plus important est de l'empêcher de pouvoir se restaurer. Réfléchissez-y bien.

Passer de la montagne à la mer signifie qu'il est mauvais de répéter les mêmes choses au cours d'un même combat. Répéter deux fois la même chose est encore possible, mais jamais trois. Si vous ne réussissez pas une première fois un certain coup, alors, même si vous le tentez une seconde fois, son efficacité sera douteuse. Appliquez plutôt un coup inattendu, chaque fois d'une façon assez différente, et si cela est inefficace, tentez une autre tactique.

Si votre adversaire imagine la montagne, vous appliquez la technique de la mer, et si votre adversaire pense à la mer, vous appliquez la technique de la montagne; c'est là la Voie de la tactique. Réfléchissez-y bien.

Oter le fond s'applique au cas suivant : à l'issue d'un combat, bien que pratiquement vous ayez enlevé la victoire grâce à votre technique efficace des arts martiaux, l'esprit combatif de votre adversaire n'est pas encore complètement mort. Donc, il est vaincu superficiellement, mais pas encore au fond de son coeur. Dans ce cas, changez vite d'idée. Il faut déraciner la volonté combative de votre adversaire. Il est important que vous sachiez découvrir chez lui la destruction de toute trace d'esprit combatif.

Ainsi, on doit ôter le fond soit par le sabre, soit par le corps, soit par l'esprit. Il n'y a aucune façon précise d'y parvenir. Dans le cas où votre adversaire s'est écroulé à fond, il est inutile de conserver en vous un esprit combatif. Dans le cas contraire, vous devez le conserver. Si votre adversaire conserve encore un esprit combatif, il y a encore de la difficulté pour vous à le faire s'écrouler. Dans les tactiques, qu'elles soient de masse ou individuelle, exercez-vous à « ôter le fond ».

Lorsque, au cours d'un combat qui reste à l'état de mêlée, rien n'avance plus, abandonnez vos idées premières, rénovez-vous en tout et prenez un nouveau rythme. Ainsi découvrez le chemin de la victoire. Chaque fois que vous jugez qu'entre votre adversaire et vous tout grince, changez d'intentions immédiatement et parvenez à la victoire en recherchant d'autres moyens avantageux pour vous.

Il est très important de savoir se rénover dans la tactique de masse. Ceux qui sont perspicaces dans la tactique peuvent juger facilement l'instant de cette rénovation. Réfléchissez-y bien.

Lorsque, au cours d'un combat, votre adversaire et vous-même vous attardez à des choses insignifiantes et que vous êtes mêlés l'un à l'autre, ayez en tête constamment le proverbe de la tactique « tête de rat et tête de bovin », et remplacez vos idées petites par des grandes, comme si elles passaient d'une tête de rat à une de bovin. C'est un principe de la tactique.

Il est important que les samouraïs aient toujours en tête, même dans leur vie quotidienne, « tête de rat et tête de bovin ». Dans la tactique, qu'elle soit de masse ou individuelle, n'oubliez pas cet esprit. Réfléchissez-y bien.

Dans la bataille, le général doit naturellement connaître ses soldats. Mais s'il acquiert une intelligence de la tactique, il est capable de prendre ses adversaires pour ses soldats. Il doit s'efforcer de tenter de les manœuvrer librement selon sa volonté. Alors il est général, et ses adversaires seront ses soldats. Méditez bien là-dessus.

Lâcher la poignée peut avoir plusieurs significations. Il y a moyen d'obtenir la victoire sans sabre. Il y a aussi des cas où on ne peut parvenir à la victoire même avec un sabre. Je ne puis exposer toutes mes pensées en détail. Exercez-vous bien.

Une fois que vous connaissez la Voie de la tactique, soyez comme un rocher. Soyez intouchable et immuable en toutes choses. L'explication ne peut en être que verbale.

J'ai exprimé plus haut ce à quoi j'ai pensé sans cesse au cours des exercices d'escrime de notre école. C'est la première fois que j'écris tous ces avantages, c'est pourquoi ils sont exposés sans ordre et que chaque explication ne ressort pas clairement. Néanmoins ce livre sera une sorte d'index pour ceux qui voudront étudier cette Voie.

Depuis ma jeunesse je me suis consacré à la Voie de la tactique, j'ai discipliné mes mains, j'ai éduqué mon corps, et étudié les différents aspects de l'esprit dans les arts martiaux en général et dans l'escrime en particulier. Or, lorsque je prête attention aux autres écoles, certaines ne consistent qu'en paroles, d'autres encore ne s'occupent que de l'aspect extérieur. Aucune n'a d'esprit authentique.

Malgré ces idées qu'elles ont, je pense qu'elles disciplinent tout de même tout le corps et l'esprit. Cependant, toutes deviennent des malades de la Voie qui ne pourront plus jamais se débarrasser de cette mauvaise influence première. Elles sont la source du pourrissement de la vraie Voie de la tactique et provoquent son déclin. L'escrime a pour but de nous mener à la vraie Voie et à la victoire dans le combat. Ce but est immuable. Si vous obtenez l'intelligence de la tactique de notre école et si vous pratiquez sans faillir, je ne doute pas que vous emporterez la victoire.

Le 12 mai de la seconde année de Shôho, Shimmen Musashi, à Monsieur Terao Magonojô.

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Chapitre 4 - « Vent »

Dans la tactique, il est important de connaître la voie des autres écoles. Ainsi, j'expose dans ce chapitre les diverses pratiques des autres écoles.

Sans connaître les voies des autres écoles, on ne peut comprendre à coup sûr la nôtre. Lorsque j'observe les tactiques des autres écoles, j'en vois qui utilisent le grand sabre et ne font appel exclusivement qu'à la force musculaire. D'autres ne se préoccupent que de la manœuvre du petit sabre. D'autres encore ne se préoccupent que des nombreuses techniques du sabre et divisent même la garde du sabre en superficielle et profonde.

J'expose clairement dans ce chapitre pourquoi elles ne sont pas la vraie Voie. J'y explique aussi ce qu'elles ont de bon et de mauvais, de correct et d'erroné vis-à-vis de la Voie. La vérité dans notre école est très différente de la leur. Les gens des autres écoles utilisent leur tactique pour gagner leur vie. Ainsi, ils donnent de l'éclat à leur apparence, enjolivent et commercialisent leur tactique et ils se trouvent complètement en dehors de la vraie Voie. Pour ces gens, la tactique est bornée à l'escrime et ils pensent parvenir à la victoire uniquement par la seule manipulation du sabre, la discipline du corps et l'habileté manuelle, mais ce ne sont pas là des voies sûres. Je vais énumérer et expliquer séparément chacun des points faibles des autres écoles. Réfléchissez-y bien, et comprenez bien les avantages de notre école « des deux sabres ».

Certaines écoles préfèrent des sabres de grandes dimensions, mais du point de vue de ma propre tactique je trouve que ces écoles sont faibles, parce que les tactiques de cette sorte ignorent la possibilité de parvenir à la victoire par n'importe quel moyen. Elles s'appuient sur la longueur du sabre et cherchent à obtenir la victoire à distance. C'est pourquoi elles préfèrent les sabres longs.

D'après un dicton, « un centimètre de longueur en plus, la main est déjà plus efficace ». Si on pense appliquer cela dans la tactique, c'est qu'on ignore celle-ci. Si l'on veut obtenir la victoire de loin, avec un sabre plus long, sans connaître les principes de la tactique, ce n'est là qu'une faiblesse de l'esprit et je la considère comme une tactique faible. Lorsque l'on combat au corps à corps, plus long est le sabre, plus grande est la difficulté de porter des coups. Les moulinets de sabre deviennent impossibles et le sabre lui-même devient encombrant. Ainsi, on est plus désavantagé que celui qui manie un petit sabre.

Ceux qui préfèrent les sabres longs ont leurs raisons mais elles ne sont que personnelles. Du point de vue de la Voie véritable du monde, leurs raisons ne reposent sur rien. Si l'on n'a pas un sabre long, pourquoi perdrait-on forcément avec un petit sabre ? Par exemple, dans le cas où vous ne disposez d'aucun espace libre au-dessus de vous, au-dessous de vous, ni sur aucun côté, ou bien dans le cas où vous ne disposez que d'un petit sabre, si vous vous entêtez à préférer un sabre long, alors votre esprit s'égare au point de vue de la tactique et ce sont des idées mauvaises. Aussi, les gens doués de peu de force éprouvent des difficultés à manier un sabre long.

Un vieux proverbe dit : « Qui peut le plus peut le moins », et moi aussi je ne suis pas absolument contre la longueur. Seulement, je rejette la pensée qui ne prend en considération exclusive que la longueur.

Dans la tactique de masse, le grand sabre long est comparable à une troupe importante tandis que le petit sabre peut être comparé à une petite troupe. Une petite troupe ne pourrait-elle pas combattre contre une troupe importante ? On retrouve plusieurs fois des exemples de petites troupes ayant vaincu des troupes importantes. Notre école rejette cette pensée unilatérale et étroite. Réfléchissez-y bien.

Les sabres ne peuvent être classés en sabres forts ou faibles. Lorsque l'on porte un coup de sabre en obéissant à une volonté forte, ce coup est grossier et on ne peut parvenir à une victoire uniquement par lourdeur.

Aussi, si l'on s'obstine à vouloir pourfendre uniquement par la force un adversaire, on ne parvient pas, au contraire, à le pourfendre. Lorsque l'on s'essaie au sabre en coupant quelque chose, il est mauvais de couper avec force. Personne ne songe à mettre ou non de la force en ferraillant avec un adversaire. Lorsque l'on veut tuer quelqu'un en le pourfendant, on ne songe pas à le faire fortement ou faiblement. On ne songe uniquement qu'à parvenir à le tuer.

Ou bien si vous voulez porter un coup fort de votre sabre sur celui de votre adversaire, ce sera trop pour être bien et attirera un mauvais résultat. Si votre sabre heurte fortement le sabre de votre adversaire, le réflexe de votre sabre sera moins vif. Manier un sabre avec force est donc un non-sens. Dans la tactique de masse (bataille), si vous voulez avoir des gens forts dans votre troupe et obtenir la victoire par la force, votre ennemi aussi voudra avoir des gens forts dans sa troupe et obtenir la victoire par la force tout comme vous. Les choses seront identiques des deux côtés. En toutes choses on ne peut obtenir de victoire sans obéir à la raison.

Dans notre école nous ne pensons rien de déraisonnable. Nous essayons d'enlever la victoire par tous les moyens grâce à l'intelligence de la tactique. Méditez bien là-dessus.

Si l'on pense parvenir à la victoire uniquement à l'aide d'un sabre court, ce n'est pas la Voie véritable. Depuis les temps anciens jusqu'à aujourd'hui on a toujours dit « sabre et petit sabre » afin de distinguer le sabre long du sabre court.

Un homme physiquement puissant peut manier avec facilité un sabre même très grand et par là donc personne n'est obligé de préférer un sabre court. Si l'on veut utiliser les avantages de la longueur on peut tout aussi bien prendre une lance ou une hallebarde. Si on a l'intention, avec un sabre court, de pourfendre, de bondir en s'approchant, ou bien de s'emparer d'un adversaire en saisissant l'occasion d'un intervalle dans les mouvements de son sabre, cela est mauvais parce qu'unilatéral.

Si l'on est tout occupé à guetter l'occasion d'un intervalle chez l'adversaire, toutes nos actions viendront après coup. Ainsi on agira d'une façon désordonnée, ce qu'il faut éviter. Aussi, essayer de pénétrer dans les rangs ennemis et tenter de s'emparer d'eux à l'aide d'un sabre court est totalement inutile avec des adversaires en nombre.

Ceux qui ont l'habitude d'un sabre court, même s'ils ont l'intention de porter plusieurs coups à de nombreux adversaires, de voler librement d'un adversaire à l'autre et de ferrailler en tous sens, tout cela n'est que sabre passif. Le combat devient embrouillé et l'issue n'en est pas certaine. Si possible, rester fort et droit, pourchasser les adversaires, les faire voltiger çà et là, faire naître en eux la précipitation et trouver le chemin qui mènera à la victoire à coup sûr.

Pour la tactique de masse (bataille) c'est le même principe. Si possible, attaquer brusquement avec une troupe nombreuse et écraser les ennemis d'un seul coup. C'est là l'essence de la tactique. Si, dans le monde en général, pour faire quelque chose les gens ne se préoccupent que de parer les coups, de les éviter, d'y échapper, de plonger pour se garer, ils seront toujours victimes de ces habitudes et seront toujours tiraillés par autrui. La Voie de la tactique est droite et juste. Il est donc essentiel de pourchasser les adversaires et de les dominer en obéissant à des principes véritables. Réfléchissez-y bien.

Dans d'autres écoles on enseigne des techniques variées de maniement du sabre. Elles commercialisent la Voie et le font certainement dans le but de faire croire aux débutants qu'elles connaissent un grand nombre de techniques du sabre. C'est contraire à la tactique.

Tout cela parce qu'elles pensent qu'il y a plusieurs façons de pourfendre quelqu'un. C'est là leur erreur. Il n'y a pas 36 façons de pourfendre un homme. Il n'y a pas plusieurs manières de porter un coup, de frapper et de trancher qu'il s'agisse d'un spécialiste ou non, d'une femme ou d'un enfant. Si l'on veut en chercher d'autres, il n'y a qu'à porter une botte ou faucher. Tout se résume à vouloir couper l'adversaire, donc il est tout naturel qu'il y ait peu de façons de le faire.

Cependant selon le lieu et les circonstances, par exemple dans un endroit où vous ne disposez d'aucune place au-dessus de vous ou sur le côté, il faut que vous teniez votre sabre de telle façon qu'il ne soit pas gêné. En ce cas on pourrait dire qu'il y a cinq façons de tenir un sabre.

En dehors de ces façons, si l'on veut s'étendre encore plus et aborder la question de pourfendre les gens à l'aide de quelque artifice, par exemple par un tour de poignet ou en tordant notre corps, ou bien à l'aide de grands bonds, tout cela n'est pas la Voie véritable. On ne peut pourfendre des gens à l'aide d'un tour de poignet ou en tordant notre corps, au contraire, cela est inutile.

Dans la tactique de notre école, il faut garder le corps et l'esprit tout droit, mais faire biaiser et dévier l'adversaire. Puis il est important d'enlever la victoire en découvrant le moment où l'esprit de l'adversaire biaise et dévie. Réfléchissez-y bien.

Se préoccuper trop de la garde du sabre est une grave erreur, car se figer dans des règles de garde du sabre n'est applicable que lorsque l'on ne se trouve pas face à un adversaire. Etablir des règles parce que c'est la coutume depuis l'antiquité ou parce que c'est la mode aujourd'hui, n'a aucune valeur sur le chemin de la victoire ou de la perte. En bref ce chemin consiste essentiellement à réfléchir à tout ce qui peut nuire à l'adversaire.

En toutes choses, garde signifie immobilité. Dans le langage courant, lorsqu'il est question de garder un château ou de garder une place, le mot « garder » signifie que l'on demeure fortement immobile malgré les attaques de l'ennemi. Tandis que dans la Voie de la tactique, de la victoire ou de la perte, tout revient à essayer de prendre l'initiative, l'initiative à chaque pas. L'esprit de garde est un esprit d'attente de l'initiative de l'adversaire. Méditez bien là-dessus.

La Voie de la tactique et de la victoire ou de la perte consiste à provoquer une émotion chez l'adversaire en garde, agir d'une façon inattendue de lui, provoquer une certaine précipitation chez lui, lui faire monter la moutarde au nez, l'effrayer et enlever la victoire en utilisant son rythme perturbé. Donc il faut rejeter la pensée arrivée après coup qui existe dans la garde. En conséquence notre école recommande d'être sur ses gardes mais sans garde.

Dans la tactique de masse, il faut savoir dénombrer les ennemis, reconnaître le terrain du champ de bataille, connaître l'état et le nombre de ses propres soldats, organiser ses troupes selon les qualités de chacun. Ainsi on peut entamer un combat. C'est là le principe de la bataille. Le cas où je suis attaqué par un adversaire obéissant à son initiative et le cas où je l'attaque en obéissant à mon initiative sont doublement différents. Si l'on se préoccupe de se bien mettre en garde avec un sabre et de bien intercepter le sabre adverse, ou d'en cingler la lame, étant donné que l'on n'a pas l'initiative, tout cela équivaut à fabriquer une haie de lances et de hallebardes. En revanche si l'on passe à l'assaut en prenant l'initiative on pourrait utiliser même des haies aussi efficacement que des lances et des hallebardes. Réfléchissez-y bien.

D'autres écoles conseillent de tenir les yeux fixés. Les unes conseillent de les fixer sur le sabre adverse, d'autres de les fixer sur les mains adverses, d'autres encore de les fixer sur le visage ou bien les pieds adverses. Si l'on fixe spécialement ainsi les yeux, l'esprit s'égarera et cela deviendra une maladie dans la tactique.

Je m'explique : bien qu'un joueur de balle n'ait pas les yeux obstinément fixés sur sa balle, il peut néanmoins shooter tout près de son chignon, poursuivre la balle, shooter en rond. Fixer les yeux est inutile pour lui parce qu'il est accoutumé. Aussi, les acrobates habitués à leurs numéros peuvent porter une porte sur le bout de leur nez, jongler avec plusieurs sabres à la fois. Tous n'ont pas les yeux fixés sur les objets qu'ils traitent car leurs mains y sont habituées et exercées tout au long des jours. Ils les voient sans les regarder.

Dans la Voie de la tactique aussi, si l'on parvient à s'accoutumer à combattre face à un adversaire, à saisir la finesse ou la balourdise d'un esprit humain et si l'on peut pratiquer la Voie de la tactique, alors on parvient à tout voir, éloignement ou rapprochement, lenteur ou rapidité d'un sabre. Les yeux fixés, dans la tactique, sont pour ainsi dire des yeux fixés sur les pensées adverses.

Dans la tactique de masse (bataille), il faut avoir les yeux fixés sur les capacités de la troupe ennemie. Dans le chapitre de l'Eau j'ai distingué « voir » et « regarder ». Ici, voir est plus important que regarder. Il faut voir l'esprit des ennemis, voir l'ambiance, avoir les yeux fixés « vastement », voir le processus de combat et voir la force et la faiblesse de chaque instant. Il est important d'obtenir ainsi la victoire.

Dans la tactique, qu'elle soit de masse ou individuelle, il ne faut jamais avoir les yeux fixés étroitement. Comme je l'ai dit plus haut, si l'on a les yeux fixés étroitement et avec des œillères, on oublie les choses les plus importantes, des égarements apparaissent dans l'esprit et on laisse échapper une victoire certaine. Réfléchissez bien à ces vérités et exercez-vous bien.

Certaines écoles appellent les différentes façons de tenir les pieds : pieds flottants, pieds bondissants, pieds sautant, pieds foulants et pieds « corbeaux ». Tous ces qualificatifs s'appliquent à des pieds aux mouvements rapides, mais au point de vue tactique de mon école tous sont insuffisants.

Nous rejetons les pieds flottants, car une fois sur le terrain du combat, tout le monde a tendance à avoir les pieds flottants. Donc, il vaut mieux avoir les pieds sûrs.

Aussi nous n'aimons pas les pieds bondissants, car ceux qui ont les pieds bondissants en prennent l'habitude et s'y attachent. Il n'y a aucune raison de bondir plusieurs fois, donc les pieds bondissants sont mauvais.

Au sujet des pieds sautant, si l'on est préoccupé de sauter, le combat ne pourra être décisif.

Quant aux pieds foulants, ils sont appelés aussi « pieds d'attente », ce qui est à rejeter entre tout.

De plus, en dehors de ceux-là, il y a les pieds « corbeaux » et toutes sortes de mouvements rapides de pieds.

Selon les circonstances, il nous faut combattre nos adversaires soit dans des mares, des marais, des montagnes, des vallées, des champs pierreux, des sentiers, etc..., donc selon les lieux il est impossible de bondir ou de sauter, impossible d'utiliser des mouvements rapides de pieds.

Dans la tactique de notre école, les mouvements de pieds n'ont rien de différent des mouvements ordinaires. Ils sont comme la marche sur un chemin ordinaire. Selon le rythme de l'adversaire, les pieds doivent correspondre aux mouvements du corps, soit dans les moments mouvementés soit dans les moments de tranquillité. Ni trop ni trop peu, les pieds ne doivent être agités.

Dans la tactique de masse aussi, ce mouvement des pieds est important, car si l'on passe à l'assaut trop tôt sans connaître l'esprit de l'adversaire, le rythme devient contrariant et l'on ne peut parvenir à la victoire. Mais, si le pas d'assaut est lent, on ne peut découvrir le moment de confusion et d'effondrement de l'ennemi, on laisse échapper la victoire et l'on ne peut parvenir à une issue rapide qu'elle soit victoire ou perte. Il est important de savoir discerner l'occasion de confusion et d'effondrement de l'ennemi et de provoquer notre victoire en empêchant tout redressement chez lui. Exercez-vous bien.

La préférence pour la rapidité dans la tactique n'est pas la vraie Voie. En toutes choses, tant que l'on n'est pas en harmonie avec les rythmes, on tergiverse sur rapidité ou lenteur. Lorsque l'on est devenu expert dans toutes les voies, on ne semble pas rapide aux regards des autres. Par exemple, on appelle « bons marcheurs » ceux qui peuvent parcourir 160 à 200 km par jour, mais cela ne veut pas dire qu'ils courent vite du matin au soir.

Bien que les non experts aient l'air de courir toute la journée, leur rendement n'est pas grand. Je prendrai pour exemple les chœurs accompagnant des danseurs : si un non expert chante en suivant le chant d'un expert, il craint sans cesse un retard de sa part et il sera sous tension. Lorsque l'on tambourine l'air des « Vieux Pins » si l'on est non expert, bien que cet air soit très tranquille, on est sans cesse inquiet de savoir si l'on est en mesure. « Takasago » est un chant au rythme rapide, mais il est mauvais de le rythmer avec précipitation. Un proverbe dit: « Ceux qui vont trop vite tombent ». Aller trop vite fait perdre le rythme. Naturellement le retard est mauvais aussi.

L'action d'un expert semble lente, mais il ne s'écarte jamais du rythme. Pour n'importe quoi, ce qui est fait selon une habitude ne semble pas rapide. Avec ces exemples, connaissez bien les vérités de la Voie.

La précipitation est nuisible surtout dans la Voie de la tactique. En voici les raisons : selon le lieu (une mare, un marais, etc.), il est impossible de mouvoir corps et jambes avec rapidité. Quant au sabre il est inutile qu'il tranche vite. Le sabre n'est pas comme un éventail ou un couteau. Si l'on veut trancher vite alors le sabre ne tranche pas du tout. Sachez bien discerner tout cela.

Dans la tactique de masse aussi, l'esprit de précipitation, de hâte est mauvais. L'idée de « presser l'oreiller de l'adversaire » n'arrive pas du tout en retard.

Lorsque quelqu'un se précipite pour rien il vaut mieux le contrarier, rester tranquille et ne pas s'occuper de lui. Il faut bien s'exercer dans cet état d'esprit.

Au sujet de la tactique que pourrait-on qualifier de profond ? Que pourrait-on qualifier de superficiel ? Selon l'art ou le cas on dit « principe ultime » ou « transmission secrète » et il existe une profondeur inconnue du débutant. Mais en ce qui concerne les principes au moment d'échange de coups avec un adversaire, il est inutile de dire que l'on combat en superficiel ou que l'on tranche avec profondeur.

Dans la tactique de notre école, les principes enseignés sont les suivants : à ceux qui apprennent pour la première fois la Voie, nous enseignons les techniques qui sont à leur portée et en premier les principes qu'ils peuvent comprendre vite. Puis nous découvrons le moment où leur esprit s'ouvre et ils atteignent ce qui n'était pas à leur portée à l'origine. Par nos enseignements ultérieurs ils avanceront de plus en plus vers des vérités plus profondes. Mais en général nous les faisons étudier à l'aide d'exemples pratiques et ainsi nous ne parlons ni de profondeur ni de début.

Prenons l'exemple d'une région montagnarde, si l'on veut s'y enfoncer plus profondément, on se retrouve dans la même situation qu'au début. Dans toutes les voies, il y a des cas où la profondeur est valable et d'autres cas où l'état de début convient bien. Au sujet des principes des combats, que cacherais-je ? Et qu'exprimerais-je ?

En conséquence, pour transmettre ma Voie, je n'ai pas besoin de serment écrit, de règle de discipline. Enseigner une Voie droite en sondant l'intelligence de l'étudiant de cette Voie, faire disparaître les défauts de cinq ou six écoles de tactique, introduire l'étudiant tout naturellement dans la Voie réelle de la Loi des samouraïs et lui donner un esprit sans doute, c'est là la Voie de l'enseignement de notre tactique. Exercez-vous bien.

Je viens d'exposer les grandes lignes des tactiques des autres écoles, dans ce chapitre du « Vent », en les classant en neuf cas. J’aurais dû exposer en détail le caractère de chaque école, depuis ce qu'elles ont de plus simple jusqu'à ce qu'elles ont de plus profond, mais c'est avec intention que je n'ai pas indiqué le nom de ces écoles ni celui de leurs techniques essentielles.

J'ai agi ainsi car les jugements portés par chaque école et les théories propres à chaque Voie sont au libre arbitre de chacun selon sa mentalité. De plus, l'interprétation de chacun est différente dans une même école. Ainsi en pensant au futur je n'ai pas osé nommer telle école ou telle lignée.

C'est pourquoi j'ai séparé les grandes lignes des autres écoles en neuf cas : préférence exclusive pour le sabre long, préférence pour le sabre court, ne se préoccuper que de la force ou de la faiblesse et ne voir que lourdeur ou finesse. Mais du point de vue de la Voie véritable du monde et de l'humanité tout cela n'est que voie unilatérale. Même si je n'ai pas avancé de la partie la plus simple à la partie la plus profonde des autres écoles on comprendra malgré tout. Dans notre école il n'y a pas de distinction entre profondeur et début pour un sabre. Il n'y a pas de borne pour la garde. Atteindre à la vertu par l'esprit c'est là l'essence de la tactique.

Le 12 mai de la seconde année de Shôho, Shimmen Musashi, à Monsieur Terao Magonojô.

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Chapitre 5 - « Vide »

J'expose ici la Voie de la tactique de notre école « des deux sabres » en un chapitre intitulé « Vide ». On entend par « vide » l'anéantissement des choses et le domaine de l'inconnu.

Naturellement le « vide » est néant. Par la connaissance des êtres, on connaît le néant, c'est là le « vide ». En général l'idée que l'on a sur le « vide » est fausse. Lorsque l'on ne comprend pas quelque chose on le considère comme « vide » de sens pour soi, mais ce n'est pas un vrai « vide ». Tout cela n'est qu'égarement.

Dans la Voie de la tactique, si les Samouraï ne connaissent pas leur Loi pour poursuivre leur Voie, ils ne sont pas « vides ». Ils appellent « vide » ce qui est du domaine de l'impasse sous l'effet d'égarements successifs, mais ce n'est pas le vrai « vide ».

Les Samouraï doivent apprendre avec certitude la Voie de la tactique, avoir la maîtrise des autres arts martiaux, n'avoir plus aucun point obscur sur la Voie qu'ils doivent pratiquer, n'avoir plus aucun égarement d'esprit, ne jamais se relâcher à aucun moment, depuis le matin. Polir ces deux vertus : sagesse et volonté, aiguiser les deux fonctions de leurs yeux : voir et regarder, et ainsi n'avoir aucune ombre. Alors, les nuages de l'égarement se dissiperont, c'est là le vrai « Vide ».

Tant que l'on ne connaît pas la Voie véritable, chacun croit avancer sur le bon chemin et se croit dans le vrai sans s'appuyer sur les lois du Bouddha ni les lois de la terre. Mais lorsque nous les regardons avec les yeux de la Voie véritable de l'esprit et selon les grandes règles du monde humain, on les voit trahir la Voie véritable à cause de leur propre égoïsme et de leur mauvaise vue. Connaissez l'Esprit! Reposez-vous sur le domaine franchement juste! Faites de l'Esprit réel la Voie! Pratiquez largement la tactique! Ne songez qu'à la justice, à la clarté et à la grandeur! Faites du vide la Voie! Et considérez la Voie comme « vide »!

Dans le « Vide », il y a le bien et non le mal. L'intelligence est « être ». Les principes sont « être ». Les voies sont « être ». Mais l'esprit est « Vide ».

Le 12 mai de la seconde année de Shôho, Shimmen Musashi, à Monsieur Terao Magonojô.
 

  Voici une version du Gorin-no-sho de Miyamoto Musashi
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Terminologie

Bouddhisme : Le Bouddhisme est, selon les points de vue traditionnels, une philosophie, une spiritualité ou une religion apparue en Inde au Ve siècle avant J.-C..
Pour plus d'informations consultez le Lexique.

Budoka : Pratiquant d'un Art Martial quel que soit son grade. Karateka, Aikidoka,...)

Confucianisme : Le Confucianisme « enseignement des lettrés » est l'une des plus grandes écoles philosophiques, morales, politiques et dans une moindre mesure religieuses de Chine.
Pour plus d'informations consultez le Lexique.

Ikebana : Art de l'agencement florale ou « Voie » des fleurs.

Samouraï : Samouraï ou Bushi est un mot japonais désignant un membre de la classe guerrière qui a dirigé le Japon féodal durant près de 700 ans. A la solde d'un seigneur, les Samouraï eurent un rôle de protection et de police. Ils recevaient, en contrepartie de leur service, une pension directement versée par leur maître auquel ils avaient juré fidélité. Ils formèrent une élite militaire « respectant » des règles de vie et d'éthique très strictes et se distinguaient du commun des mortels par le port du chignon et du Daisho. Le Daisho, privilège des Samouraï, est un ensemble de 2 sabres : un long et un petit.
Leur classe subsista jusqu'aux premières années de la restauration Meiji en 1868.

Takasago : Une des trois chansons de théâtre avec Kamo et Kantan.

Taoïsme : Le Taoïsme « enseignement de la voie » est l’un des trois piliers de la pensée chinoise avec le Confucianisme et le Bouddhisme, et se fonde sur l'existence d'un principe à l’origine de toute chose, appelé « Tao ».
Pour plus d'informations consultez le Lexique.

Tengu : Les Tengu sont des êtres mythiques de la religion populaire de l’ancien Japon. Ils sont traditionnellement représentés avec une tête d’oiseau et un corps d’homme et peuplaient les régions montagneuses isolées. D’origine chinoise, les Tengu firent leurs apparitions au Japon vers le VIème siècle et étaient considérés comme des combattants hors pair qui, parfois, enseignaient leur Art aux humains. Considérés à la fois comme des démons annonciateurs de malheurs et de bienfaiteurs pour d’autres ils ont alimentés fortement légendes et superstitions.

Yang : C’est le principe masculin, positif de l’univers selon la conception du Taoïsme.

Yin : C’est le principe féminin, négatif de l’univers selon la conception du Taoïsme

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