Sensei Funakoshi est né en 1868 dans le district de Yamakawa-Chô sur l'île d'Okinawa dans l'archipel des Ryû-Kyû, quand débutait l'ère Meiji. Il était un homme cultivé et un poète de renom. Il suivait de très près le code moral de ses ancêtres et observait les interdictions d'autrefois. Fidèle à ses principes, il considérait que le Samouraï devait avoir une apparence impeccable. Chaque matin, Sensei Funakoshi se tournait vers le Palais Impérial et s'inclinait avec un profond respect, il accomplissait le même cérémonial en se tournant du côté d'Okinawa.
De constitution naturelle fragile voire maladive, c'est dès l'enfance que ses parents lui firent étudier le Karaté pour surmonter ses handicaps. A l'école primaire, sa santé s'améliore notablement et il décide de s'investir dans l'art pour atteindre une véritable maîtrise.
Il devint ami d'un élève de sa classe, fils de Yasutsune Azato (Asato Ankô 1827-1906), un des plus grand expert de Karaté d'Okinawa. La pratique journalière du Karaté le dispensa toute sa vie d'avoir recours aux médecins. A propos de médecine, une anecdote raconte que la naissance du Sensei est inscrite en 1870 dans les registres officiels. Le Sensei avoue dans sa biographie avoir falsifié, avec l'aide des autorités locales, les registres pour obtenir l'autorisation de se présenter au concours d'entrée de l'école de médecine de Tôkyô.
Malheureusement, à cette époque, deux courants s'opposaient à chaque nouvelle réforme, le Ganko-tô et le Kaika-tô. La famille du Sensei, attachée depuis plusieurs générations à la petite noblesse sur Okinawa soutenait le Ganko-tô, le parti des ″obstinés″. Ce parti refusait l'élimination du chignon, coiffure masculine ancienne, symbole de virilité et de maturité. L'école de médecine refusait d'intégrer les élèves qui continuaient à suivre les mœurs anciennes, le destin du Sensei fut ainsi scellé. Mettant fin à ses ambitions médicales, il décida de passer les examens de maître d'école et devint dès l'âge de 21 ans assistant dans une école primaire.
Il enseignait donc le jour et s'entraînait la nuit chez Azato. A cette époque, le gouvernement avait proscrit la pratique du Karaté et les entraînements devaient avoir lieu en secret. Sensei Funakoshi fit ensuite la connaissance de Maître Ankõ Itosu (né entre 1830 et 1832 et mort en 1915), un aristocrate d'Okinawa et ami d'Azato. Gichin Funakoshi apprenait parfois sous leur double tutelle les aspects spirituels et techniques du Karaté.
En 1902 il fit une démonstration devant les responsables de la province de Kagoshima.
En 1912, le Shôbukai d'Okinawa le choisit pour effectuer une démonstration à la marine Japonaise. Il fut remarqué par l'amiral de la flotte impériale. Sensei alla au Japon pour la première fois en 1917 pour faire une démonstration au Butokuden de Kyoto. Il y retourne cinq ans plus tard pour une deuxième démonstration devant le ministre de l'Education Nationale Japonaise. Jigoro Kano le fondateur du Judo, lui demanda de faire une autre démonstration au Kodokan. Le succès fut immédiat et les demandes de cours affluaient. Sensei ne retourna jamais à Okinawa.
A cette époque, en 1921 le maître Choku Motobu, également ancien élève d'Itosu, enseignant déjà cet art au Japon. Gichin Funakoshi enseigna d'abord au Meisojuku, une pension pour étudiants dans un Dojo de 40m2. Plus tard il partagea le dojo de Hakudo Nakayama, un maître de Kendo.
En 1935, sensei ouvrit son propre Dojo (le Shotokan) dans le quartier de Meijiro.
En 1936, Sensei avait ouvert plus de trente Dojo dans les universités et dans les entreprises. C'est à cette époque que les kata furent révisés dans la forme. Les anciens noms chinois disparurent pour des noms japonais. De même le nom karaté changea de signification, il passe de ″main chinoise″ à ″main vide″ en référence à la notation de ″vide″ du Zen.
Gichin Funakoshi a transmis seulement quinze kata à ses élèves. Les autres kata furent enseignés par d'autres maîtres d'Okinawa, amis du Sensei venus au Japon pour organiser des séminaires.
En 1949, Funakoshi est nommé chef instructeur de la Japan Karate Association (J.K.A.).
Sensei s'éteignit à Tokyo le 26 avril 1957 dix ans après sa femme qui n'a d'ailleurs jamais quitté Okinawa.
Quand Sensei atteignit l'âge de 70 ans, le Karatédo s'enseignait dans les universités et des Dojos s'étaient ouverts dans tout le pays. Des grands maîtres contribuèrent à la reconnaissance du Karaté dans le monde : parmi eux, Sensei Nakayama, Sensei Okazaki, Sensei Kase, Sensei Enoeda, Sensei Shirai, Sensei Naito...
Il y eut en fait deux décrets prohibant les armes à Okinawa, l'un il y a bientôt 600 ans et l'autre deux siècles plus tard vers les années 1610. Des habitants des Ryû-Kyû dont la plupart étaient membres des Shizoku, commencèrent à pratiquer une autodéfense à mains nues dans le plus grand secret.
A cette époque, Okinawa entretenait des relations commerciales avec la province de Fukien en Chine du Sud, cela a certainement permis l'introduction du Kempô (Boxe Chinoise) sur l'île. C'est probablement à partir du Kempô que le Karaté fut élaboré. Certains appelaient cet art ″Okinawa-Te″, d'autres parlaient de ″Kara-Te″, le terme Kara se rapportant ici à la Chine.
Le mot Karaté est en réalité assez ambigu. Te signifie main mais Kara renvoie à deux caractères distincts, l'un signifie vide et l'autre désigne la dynastie Tang et peut être traduit par chinois. Il est assez probable qu'à cette époque, Kara-Te désignait plutôt la ″main chinoise″. Sensei Funakoshi pensait que la Karaté d'aujourd'hui se démarquait nettement du Kempô, le mot main chinoise n'évoquait donc pas la ″vraie nature du Karaté″. Sensei introduisit alors l'appellation Dai Nippon Kempô Karatedô.
Malgré bon nombre de contestations, la nouvelle orthographe fut admise et Kara est traduit aujourd'hui par vide. Voici l'origine du mot karaté. Et Shotokan ? Kan signifie ″salle, maison″: le Sensei, également poète, avait pour nom de plume Shôtô, son style de karaté fut appelé le Shotokan par les étudiants du premier véritable dojo du Japon dédié au Karaté. Il fut construit en 1936 à Zoshigaya pour être détruit par un obus au mois de mars la dernière année de la guerre.
Parallèlement Miyagi Chojun et Mabuni Kenwa donnèrent respectivement à leur karaté le nom de Gojû ryu et Shito ryu.
Gichin Funakoshi, le « père du karaté moderne » aurait signalé que « l'objectif ultime du karaté ne se résume pas aux mots ″victoire″ et ″défaite″, mais consiste plutôt en un polissage du caractère des pratiquants ».
L'approche de Maître Funakoshi met en exergue les valeurs spirituelles et la finesse mentale au détriment de toute forme de brutalité, que celle-ci relève de la force physique ou de la technique. Il ne tardait jamais à mettre en garde les prétentieux et autres vaniteux, qui assoiffés de gloire, participaient à de spectaculaires démonstrations. « Ils jouent dans les branches et le feuillage d'un arbre sans avoir la moindre idée de ce que recèle le tronc ».
Aux yeux de Gichin Funakoshi, la pratique du karaté visait aussi bien la maîtrise de l'art lui-même que la maîtrise de notre propre esprit. C'est ainsi que, dans Karate-dô Kyôhan, il écrit : « La valeur de l'art dépend de celui qui l'utilise. S'il est utilisé pour une cause juste, alors sa valeur est grande, par contre, s'il en est fait un mauvais usage, alors il n'est pas d'art plus nuisible et malfaisant que le karaté ».
Les arts martiaux ne sauraient être réduits à de simples techniques, ruses et stratégies dont l'unique dessein serait d'apporter la victoire en combat.
Dans la conception de Maître Funakoshi, maîtrise et agilité techniques se ternissent bien plus vite au regard des vertus plus essentielles que sont le polissage du cœur et du caractère. Il encourageait les pratiquants à chercher les aspects cachés et fondamentaux de l'art.
Maître Funakoshi eut trois fils et une fille. Le plus jeune, Yoshitaka (1906-1945) s'était installé au Japon avec son père, alors que sa mère et les autres enfants sont toujours restés à Okinawa. Après l´ouverture du Shõtõkan en 1936, Gigo (Yoshitaka) devint son premier assistant. Funakoshi père était alors appelé le vieux Maître, et Gigo le jeune Maître.
Il était atteint depuis son enfance par la tuberculose. A l'époque où il prit la responsabilité du Shotokan, vers l'âge de 30 ans, il avait dépassé de 10 ans la limite de vie que les docteurs lui avaient fixée.
Ils avaient une vision très différente de l´entraînement. Funakoshi père basera principalement son enseignement sur la pratique exclusive des katas, et de ses applications, le bunkai, il s´opposera toujours au combat libre et à toute forme compétitive. Son fils préférait la compétition et voulait un Karate avec un esprit semblable à celui qu´on trouvait en Kendo ou en Judo. Avec du recul, on peut supposer que Gichin Funakoshi enseigna en privé à son fils la partie guerrière du Shuri-te d'Azato et de Matsumura. Le style de Gigo était très proche de celle trouvée dans le style de sabre Jigen-ryu pratiqué par Matsumura et Azato.
Alors que l'entrainement de son père mettait surtout l'accent sur le travail des membres supérieurs, Yoshitaka Funakoshi découvrit de nouvelles techniques de coups de pied : yoko-geri, mawashi-geri, ushiro-geri, fumikomi et ura-mawashi-geri.
Le style Shotokan devint progressivement, sous son impulsion, un karaté fait d'attaques longues, à partir de positions basses et fendues, afin d'accumuler encore davantage de force, c'est là que réside l'aspect de modernité de Yoshitaka Funakoshi. Il introduisit progressivement la notion de kumité dans la pratique. Le ippon-kumité s'est étendu au jyu-ippon-kumité puis au jyu-kumité.
La puissance physique de Yoshitaka Funakoshi était exceptionnelle. Des anecdotes racontent qu'il cassait souvent en deux les makiwaras et qu'il perca d'un mawashi un sac de cuir tout neuf empli de sable. Son style très personnel est celui que plusieurs karatékas adopteront plus tard. Voici d'ailleurs un autre témoignage de Taiji Kase au sujet sa première rencontre avec Yoshitaka; C'était en 1944. Les classes pour débutants étaient généralement données par le Sensei Hironishi. Mais un jour, un autre Sensei donna la classe, je ne le connaissais pas et ne savais pas qui il était et quand j'ai demandé on m'a dit qu'il s'agissait de Waka Sensei (le jeune Sensei), le fils de Funakoshi Gichin.
Pendant cette classe, Yoshitaka nous a enseigné comment faire Mae-Geri lentement et sans baisser la jambe jusque par terre, comment faire Yoko-Geri et sans rentrer Yoko-Geri comment enchaîner avec Mawashi-Geri. Ensuite il nous dit: ″je vais maintenant vous montrer comment nous le faisons habituellement″ et il fit les trois coups de pied si rapidement et si puissamment que je me souviens encore d'avoir vu la lumière blanche du pantalon de son karategi et entendu un bruit sec comme celui d'un fouet.
Nous en sommes tous restés très impressionnés. Quand nos Seniors nous enseignaient les Katas, ils nous racontaient que lorsque Funakoshi Yoshitaka démontrait un kata, ceux qui le voyaient percevaient une sensation spéciale, la terrible impression d'un danger imminent. Et ils nous disaient que c'était comme ça qu'il fallait faire les katas de telle sorte que ceux qui les observent perçoivent et remarquent quelque chose, sentent la vibration de notre force intérieure et de notre détermination. Si ceux qui nous observent ne sentent rien, c'est que le kata n'est pas bien fait, c'est un kata du type ″gymnastique ou danse″.
A partir de 1940, l'entraînement était devenu extrêmement difficile au Shotokan. Yoshitaka était maintenant chef instructeur assisté d' Genshi Hironishi, Uemura et Hyashi. Le contexte de la seconde Guerre Mondiale ne favorisait guère les recherches spirituelles. Un certain nombre de dojos servaient à l'entraînement des kamikazes et à certains officiers et responsables de la redoutable Kempetai, équivalent de la gestapo. Certains racontent qu'il y eut des accidents mortels. Murakami Tetsuji et Kase Taiji ont d'ailleurs commencé à pratiquer le karate dans ce contexte guerrier de 1944-1945...
Funakoshi Gichin rentre en conflit avec son fils car il n'est plus du tout d'accord avec la tournure que prend le Karaté. Dès 1945, à l'âge de 77 ans, il décide de retourner à Okinawa et rejoindre ainsi sa femme, laissant à son fils le dõjõ Shõtõkan du quartier de Meijuro à Tõkyõ.
En 1945, peu après la fin de la guerre, suite aux privations sa santé se dégrade, Sensei Yoshitaka est hospitalisé et meurt finalement de la tuberculose.
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