Okinawa est l'île principale de l'archipel des Ryû-Kyû. Son histoire est très représentative de tout l'archipel.
C'est un archipel volcanique du Pacifique occidental composé d'une centaine d'îles et îlots qui s'étire sur un millier de km environ.
Il relie la pointe sud du Japon (Kyushu) et Taïwan (île chinoise) entre la mer de Chine orientale à l'ouest et la mer des Philippines à l'est. Moins de la moitié de ces îles sont habitées.
De part sa situation géographique, les Ryû-Kyû furent très tôt dans l'histoire un carrefour maritime aussi bien pour les échanges commerciaux, culturel et bien évidemment guerriers.
Ce n'est qu'en 1879 que l'ensemble de ces îles furent rattachés au Japon.
L'île d'Okinawa est située à mi-chemin entre Kyushu (île japonaise) au nord et les Philippines au sud.
C'est une terre étroite de 100 km de long pour seulement 4 à 30 km de large. Malgré sa petitesse, Okinawa a joué un rôle important dans l'histoire des Arts Martiaux d'Extrême-Orient. Proche de la Chine, du Japon, des Philippines et de la Malaisie, elle en connu toutes les influences culturelles et martiales.
Les Okinawaiens, pour la plupart pêcheurs ou agriculteurs sont de nature pacifique. Cependant l'île étant à la croisée de différents chemins, ils se retrouvèrent souvent confrontés à l'invasion de forces étrangères. Les conditions de vie sur l'île les ayant habituées à être autant résistants qu'ingénieux, ils opérèrent de tous temps une résistance farouche à tout envahisseur qui prétendait les plier à sa loi.
Ceci explique vraisemblablement leur volonté, ténacité, ingéniosité développée, ici encore plus qu'ailleurs, associée au culte du secret, vis à vis des étrangers y compris les Japonais considérés comme tel. Du reste même encore maintenant, quand on parle du Japon, il est fait mention de quatre îles principales dans lesquelles ne figurent pas les Ryû-Kyû et donc Okinawa.
Les premiers contacts d'Okinawa avec la Chine remonteraient à la Dynastie Sui (580-618) quand l'Empereur Chinois monta une expédition pour aller à la quête du « pays des immortels » à la recherche de « l'élixir de longue vie ».
Au VIIIème siècle Okinawa payait tribut au Japon (Royaume du Yamato) et elle était un relais entre la Chine et la Cour du Yamato pour les navires marchands.
Au cours de l'affrontement pour le pouvoir entre les Minamoto et les Taira (XIème, XIIème siècle), l'île d'Okinawa va revêtir une importance nouvelle en permettant à ceux qui voulaient fuir les guerres civiles, Samurai, moines bouddhistes, lettrés, de s'exiler sur les Ryû-Kyû.
La légende raconte que Minamoto-no-Tametomo, guerrier hors pair, se serait réfugié sur l'île et y aurait fondé la première dynastie régnant sur les Ryû-Kyû.
L'île d'Okinawa, à cette époque, est divisée en trois royaumes autonomes: Nanzan, montagnes du Sud; Chuzan, montagnes du Centre; et Hokuzan, montagnes du Nord, connu sous le nom de « Période des Trois Montagnes ». Des conflits locaux existaient et les trois royaumes payaient tribut à la Chine et au Japon.
La transmission n'étant qu'orale, il était dit qu'à l'époque des techniques de combat existaient sous le nom de Té, Dé ou Todé . Cela peut paraître vraisemblable quand on sait qu'en 1372, en faisant allégeance aux Empereurs Chinois Ming (1368-1644), qui à partir de cette date l'Empereur Chinois confère leur titre aux rois de Ryû-Kyû, le roi Satto (1349 - 1395), du Chuzan, acceptait de recevoir une délégation Chinoise à chaque nouvelle accession au trône et ce jusqu'en 1866.
La délégation était composée de fonctionnaires civils et militaires qui pouvaient atteindre jusqu'à un effectif de 500 personnes, et l'événement c'est reproduit 23 fois de 1372 à 1866. Les voyages étant peu sûrs à cause des Wakô (pirates), il est raisonnable de penser que ceux-ci étaient protégés d'autant plus qu'ils représentaient une délégation officielle et que ladite délégation a pu jouer un rôle important dans la transmission de l'art de combat.
Un comptoir Okinawaien fut ouvert dans la province du Fujian, en Chine, offrant la possibilité aux Okinawaiens d'aller étudier les arts Chinois. Les deux autres royaumes d'Okinawa, Oufusatô, roi de Nanzan et Haniji, roi de Hokuzan suivirent la même démarche quelques temps après.
En 1393, la main mise par l'Empire du Milieu se concrétisât par l'envoi à demeure, dans la localité de Kumemura près de Naha, d'un groupe que l'on désignait par les « 36 familles ». Les échanges culturels et commerciaux, entre le comptoir Chinois de Kumemura et celui Okinawaien à Fuzhou dans la province du Fujian, permirent d'établir des relations nouées au cours du temps et furent le creuset de la transmission de l'art de combat Chinois.
Les trois royaumes se réunifièrent, vers 1429, sous la direction du roi Sho-Hashi (1421 - 1439) qui avait écrasé les deux autres royaumes et changèrent de nom.
En 1469, après une période de troubles politiques et de conflits dans la famille Shô, Kanamaru, ministre des finances du roi Shô, prit le pouvoir sous le nom de Shô-En et va fonder la dynastie du « second clan Shô » qui va se perpétuer jusqu'à la fin du XIXème siècle.
A la fin du XVème siècle, le roi Shô-Shin (1477-1526), fils de Shô-En, par peur des révoltes, fit confisquer tout ce qui pouvait ressembler à une arme, établit un puissant état centralisé, installe son gouvernement à Shuri ou tous les chefs locaux sont obligés d'y résider et étend son pouvoir aux îles voisines d'Okinawa. La conséquence fut le développement des techniques de combat à mains nues, à l'état embryonnaire mais certes existantes, et l'intérêt croissant pour tous les ustensiles à usage domestiques pouvant servir d'armes. Les siècles passant, les techniques se perfectionnèrent au point qu'il fut impossible de distinguer ces mouvements incorporés dans les danses populaires d'Okinawa. Cela donna naissance au Ti-Gua ancêtre du Ko-Bojutsu puis du Kobudo.
La société féodale Okinawaienne était, elle aussi, à la fin du XVème siècle, très hiérarchisée. La divulgation du savoir ne se faisait qu'à partir d'un cadre strictement fermé et les secrets de famille farouchement gardés y compris ceux d'ordre martiaux.
En haut de la « pyramide » se trouvait le roi, les princes avec leurs familles et les nobles de Cour: ils détenaient tous les pouvoirs. Des classes aristocratiques venaient juste en dessous séparées des précédentes par ordre de préséance: Les Oyakata; Les Peichin et Les Satunushi Peichin; titres qui ne pouvaient pas être obtenus si l'origine était populaire. Puis venaient les classes moyennes de haut en bas: Chikudon Peichin, Satonushi, Saka Satonushi, Chikudon, et pour terminer Chikudon Zashiki. Ces huit classes formaient les Shizoku l'équivalant en Chinois de Samurai. Une classe était considérée comme inférieure, les Heinin, le simple peuple.
Azato Anko, professeur de Funakochi Gichin, Matsumura Sokon et Sakugawa Kanga avaient le titre de Chikudon Peichin. Seuls, ceux qui travaillaient au service du roi, avaient droit au titre de Bushi.
L'avènement du clan Tokugawa au Japon au début du XVIIème siècle concéda la défaite du clan Satsuma dirigé par la famille Shimazu. Vaincu mais non anéanti et acceptant la soumission au nouveau Shogun Tokugawa Ieyasu, le clan Satsuma fut orienté vers les îles Ryû-Kyû et envahirent Okinawa en 1609 composé d'une armée forte de 3.000 hommes et cela jusqu'en 1879. Alors que petit à petit le pouvoir Shogunal interdit toute relation avec l'étranger, la seigneurie de Satsuma admet et maintient le rapport de vassalité des Ryû-Kyû envers la Chine, lui permettant ainsi des relations marchandes indirectes avec celle-ci.
L'une des premières mesures que prit la famille Shimazu (clan Satsuma) fut d'interdire à nouveau les armes. Cet édit n'eut pour effet que de relancer l'esprit de résistance des autochtones et c'est vers 1630 que le Todé et le Ti-Gua se développèrent en système complet et complexe à l'abri des regards de l'occupant et de manière ésotérique.
Les entraînements se pratiquaient de nuit et la transmission des techniques se faisaient oralement. Petit à petit et au fil des ans, des experts devinrent chef de file et codifièrent leur enseignement aboutissant, vers le XIXème siècle, à des ramifications en style: Shuri (Shuri-Te), Tomari (Tomari-Te) et Naha (Naha-Te) du nom des localités qui les a vu naître. Les deux premiers styles étaient connus sous le nom de Shorin-Ryu et le dernier sous celui de Shorei-Ryu. Le terme Chinois Shaolin, nom du temple Chinois berceau des arts martiaux, se dit Shorin ou Shorei en Okinawaien, ce qui laisse penser à la filiation Chinoise de l'Okinawa-Té.
Sous l'impulsion de grands Maîtres l'Okinawa-Té va se structurer.
De stade embryonnaire le Todé ou Okinawa-Té va se codifier sous l'impulsion d'experts qui deviendront des chefs de file. A l'époque il n'est pas encore question de création de Ryu (école). Le Todé était l'art du combat qui venait de Chine et l'Okinawa-Té avait été dénommé ainsi pour regrouper le Naha-Té, le Shuri-Té et le Tomari-Té. Ce n'est que bien plus tard que les « styles » verront le jour.
Sakugawa "Kanga" Kanga (1786-1867? selon les sources) est né Teruya Kanga et pris le nom de Sakugawa lorsqu'il fut élevé au rang de Peichin, serviteur du roi. Il apprit l'art du combat auprès du moine Takahara Peichin au milieu du XVIIIème siècle à Akata (Shuri).
Seigneur d'Okinawa, il aurait été envoyé par son gouvernement en Chine pour apprendre la culture et les sciences Chinoises et en serait revenu ayant acquis l'art du combat Chinois Todé. Sa fonction était entre autre d'escorter les navires qui portaient tribut à la Chine, exprimant ainsi leur lien de vassalité; charge qui était confié aux tous meilleurs experts dans l'art du combat.
Sakugawa "Kanga" Kanga, après plusieurs voyages en Chine, est considéré comme le premier enseignant du Todé à Okinawa à avoir « ouvert » une école (dans la mesure où à l'époque l'art du combat était transmis de manière ésotérique) et se donna le surnom de Todé Sakugawa à la mort de Takahara Peichin. Sakugawa "Shugon" Kanga est à l'origine du Shuri-Té. Ce dernier était très âgé quand on lui présenta Matsumura Sokon âgé d'une dizaine d'année.
Matsumura Sokon est né, selon les sources, en 1792, 1798, 1800, 1805 ou 1809..!!!. Il était issu d'une famille de nobles d'Okinawa. C'est son père qui l'emmena auprès de l'expert de Todé qu'était Sakugawa "Shugon" Kanga.
Vers l'âge de vingt ans il est nommé garde du palais du prince ce qui en dit long sur sa maturité technique. Il poursuit sa formation auprès de sa belle famille en épousant Tsuru "Chiru" Yonaminé issu d'une famille d'experts en Todé.
Ses fonctions auprès de la Cour lui permettent de voyager et, vers l'âge de vingt quatre ans, il est envoyé dans la seigneurie de Satsuma pour une mission de vingt six mois ou il reçoit l'autorisation de s'entraîner à l'art du Kenjutsu (sabre) de l'école Jigen-Ryu réputée pour la dureté de ses entraînements.
Quelque temps plus tard, il est pressenti pour accompagner en Chine le groupe qui apportait le tribut à l'Empereur. Durant son séjour il parfait sa formation dans l'art du combat auprès d'un maître Chinois nommé Wèi Bo, Iwa en Okinawaien, qu'il fera venir sur l'île pour enseigner son art.
Toutes ses connaissances furent déterminantes dans la vision qu'il avait de l'art du combat et dans la mise au point de sa propre forme technique de combat. Il est à la création du Shuri-Té qu'il fit évoluer vers le Shorin-Ryu. Il transmit son art à de nombreux élèves dont Azato Anko et Itosu Anko qui furent tous deux les enseignants de Funakoshi Gichin.
En ce premier quart du XIXème siècle, les événements qui se passaient au Japon n'affectaient pas ou peu les Ryû-Kyû compte tenu de leur éloignement. Pourtant les années du clan Tokugawa était comptées quand Azato Anko (1827-1906) vit le jour.
Issu d'une famille aisée, Azato Anko avait été élevé au rang de Chikudon Peichin (serviteur du roi ) par la Cour. Élève de Matsumura Sokon, il développa le Shorin-Ryu issu du Shuri-Té. Il avait étudié le Kenjutsu (sabre) de l'école Jigen-Ryu, le Kyujutsu (tir à l'arc) et le Batjutsu (l'équitation) tout comme Matsumura Sokon.
Azato Anko n'enseigna jamais à titre officiel, il n'avait pour simples élèves que Funakoshi Gichin et Ogusuku Chogo en cours privé. Les entraînements, longs et fastidieux, avaient lieu la nuit en des endroits cachés et furent consignés dans l'autobiographie écrite par Maître Funakoshi Gichin. Après de longues années de cette rude formation, Azato Anko présenta Funakoshi Gichin à Itosu Anko, ami de longue date, issu lui aussi de l'école Matsumura. Si Itosu Anko fut considéré comme l'héritier officiel de Mutsumura Sokon, un certain nombre pense que Azato Anko était considéré comme le Kage-Shihan « l'héritier de l'ombre » (celui qui détient le savoir de l'école).
Itosu Anko (1830-1916) avait 16 ans quand il fut introduit auprès de Matsumura Sokon. Il apprit le Shuri-Té ainsi que le Kenjutsu (sabre) de l'école Jigen-Ryu. Il devint fin lettré aussi bien en Chinois qu'en Japonais lui permettant ainsi de pouvoir abordé aisément ces deux cultures. Il occupa de ce fait un poste de secrétaire auprès du roi Okinawaien Sho-Tai jusqu'à la dissolution de la monarchie en 1879.
Itosu Anko va se retrouver en 1868 à la charnière de deux périodes: celle de la féodalité, bien que la restauration de l'Empire eut lieu en 1868, ce n'est qu'en 1879 qu'Okinawa deviendra préfecture du nouvel Empire restauré et celle post-féodale.
Le Japon se mit sur la voie de la modernité et un nouvel ordre s'établit avec de nouvelles règles. Ce sont peut être les Samurai qui perdirent le plus de prérogatives même si les nouvelles classes sociales édictées par l'Empereur regroupaient Samurai et Ronin dans celle des Shizoku, les Kazoku regroupaient tous les nobles, Impériaux comme Shogunaux et les Heimin, composaient tout le peuple n'appartenant pas aux deux premières.
Saigo Takamori (1827-1877) tenta bien un baroud d'honneur à la tête de 40.000 Samurai pour abattre le nouvel Empire mais il fut défait à la bataille de Kagoshima et fut contraint de se suicider.
En 1885, Itosu Anko prit sa retraite et se mit à l'enseignement du Todé comme il lui arrivait encore de l'appeler. Les nouveaux sports (déjà!!), importés par les Occidentaux, attiraient la population et les jeunes en particulier. Itosu Anko était l'héritier officiel de Matsumura Sokon et le dilemme se posa au fil des ans de garder ou de divulguer cet héritage. L'art du combat pratiqué sous des formes guerrières n'avait plus sa raison d'être pour Itosu Anko. La montée du nationalisme, la conscription militaire obligatoire et la mise en place de l'éducation physique à l'école concoururent à la diffusion de l'Okinawa-Té.
Le Japon venait de remporter la victoire sur la Chine en 1895 et un disciple de Itosu Anko, nouveau conscrit, s'était particulièrement fait remarquer sur le champs de bataille et sera connu sous le nom de "Sergent Yabu". Il fut l'un des premiers à faire connaître l'Okinawa-Té en dehors d'Okinawa par les combats qu'il remportait lors de sa préparation militaire. Le "Sergent Yabu" de son nom Kentsû Yabu (1863-1937) n'eut de cesse de vanter les mérites de son art et les biens fait que cela pourrait avoir sur la jeunesse et la santé.
Emboîtant le pas de son disciple, Itosu Anko, fin lettré et de part la position qu'il occupait, réussit à faire accepter l'Okinawa-Té, après moultes tractations, comme moyen d'éducation physique à l'école primaire d'Okinawa en 1901.
C'est en plein conflit russo-japonais, 1904-1905, que l'Okinawa-té fut définitivement adopté comme discipline d'éducation physique au lycée et à l'école normale.
C'est au "Sergent Yabu", devenu héros de guerre et professeur d'éducation physique et de préparation militaire, que l'on doit cette forme d'entraînement, fait de travail en ligne et de commandements donnés de manière militaire, encore pratiqué de nos jours dans certains clubs.
Jugeant les Kata comme Naihanchi (se dit aussi Naifanshi) Kushanku et autres part trop complexes, Itosu Anko élabora un programme qui déboucha sur la création des Katas Pinan à partir de Kushanku, scinda Naihanshi en trois Kata, et il considéra cela comme moyen d'apprentissage plus abordable de l'Okinawa-Té pour des enfants du primaire. Petit à petit il fit fermer les poings pour éviter les blessures et le Todé ou Okinawa-Té, qui prendra le nom de Karaté-Do plus tard, à travers l'école primaire commença sa lente ascension vers le grand public.
Itosu Anko était surnommé « la main sacrée du Shuri-Té » et l'héritage qu'il laissa reste présent dans de nombreux styles dont le Shito-Ryu et le Wado-Ryu.
Itosu Anko transmit son art à de nombreux disciples dont le plus connu d'entre eux fera connaître le Karaté-Do au Japon puis au monde entier: Funakoshi Gichin.
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