Tao Te King
Ecrit par Lao-tseu au VIème ou Vème siècle avant notre ère, la Tao-Te-King est considéré comme LA référence du Taoïsme. Son contenu, très énigmatique, a fortement influencé la philosophie des arts martiaux d'Extrême Orient. Il est composé de 81 chapitres, les 37 premiers constituant la partie Dao (la Voie) et les suivants la section De (la Vertu).
Lao-tseu représentait le Tao comme un être dépourvu d'action, de pensées, de désirs, et il voulait que, pour arriver au plus haut degré de perfection, l'homme reste, comme le Tao, dans un quiétisme absolu; qu'il se dépouille de pensées, de désirs, et même des lumières de l'intelligence, qui, suivant lui, étaient une cause de désordre. Ainsi, dans son livre, le mot Tao signifie tantôt la Voie sublime par laquelle tous les êtres sont arrivés à la vie, tantôt l'imitation du Tao, en restant, comme lui, sans action, sans pensées, sans désirs. C'est dans ce dernier sens que l'on dit au figuré : « marcher, avancer dans le Tao, se rapprocher du Tao, arriver au Tao ».
La plupart des remarques effectuées chapitre par chapitre
proviennent d'un document, publiée en 1530 par le Docteur Sie-Hoei, de la Bibliothèque Nationale de France via Gallica.
Lao-Tseu
Lao-tseu, philosophe chinois, était un contemporain de Confucius (milieu du Ve siècle - milieu du IVe siècle av. J.-C.) qui naquit dans le hameau de Khio-jin, du royaume de Thsou. Il occupa la charge de gardien des archives à la cour des Tcheou. Il est considéré comme le père fondateur du Taoïsme. La vie de Lao-tseu est tiré des Mémoires de Sse-ma-thsien, qui était le chef des historiens de l'empire, dans la première année de la période Thaï-tsou, sous Wou-ti, de la dynastie des Han (l'an 104 avant J.C.). Cette biographie, qui fait partie des annales officielles de la Chine, est la seule qui soit regardée comme authentique. Les autres vies de Lao-tseu, qui ne s'appuient point de l'autorité de Sse-ma-thsien, ne seraient qu'un tissu de fictions que rejettent tous les hommes judicieux.
Lao-tseu était calme, tranquille et exempt de désirs; il s'appliquait à acquérir l'immortalité. Il voulait (comme il le dit dans son ouvrage) « tempérer l'éclat de sa (vertu), s'assimiler au vulgaire, remplir son intérieur, suivre sa nature et se retirer à l'écart après avoir acquis la perfection du Tao ».
Toujours selon les Mémoires de Sse-ma-thsien, Confucius se rendit dans le pays de Tcheou pour interroger Lao-tseu sur les rites. Lao-tseu lui dit : « Les hommes dont vous parlez ne sont plus; leurs corps et leurs os sont consumés depuis bien longtemps. Il ne reste d'eux que leurs maximes. Lorsque le sage se trouve dans des circonstances favorables, il monte sur un char ; quand les temps lui sont contraires, il erre à l'aventure. J'ai entendu dire qu'un habile marchand cache avec soin ses richesses, et semble vide de tout bien; le sage, dont la vertu est accomplie, aime à porter sur son visage et dans son extérieur l'apparence de la stupidité. Renoncez à l'orgueil et à la multitude de vos désirs; dépouillez-vous de ces dehors brillants et des vues ambitieuses qui vous occupent. Cela ne vous servirait de rien. Voilà tout ce que je puis vous dire. »
Lorsque Confucius eut quitté Lao-tseu, il dit à ses disciples : « Je sais que les oiseaux volent dans l'air, que les poissons nagent, que les quadrupèdes courent. Ceux qui courent peuvent être pris avec des filets; ceux qui nagent, avec une ligne; ceux qui volent, avec une flèche. Quant au dragon qui s'élève au ciel, porté par les vents et les nuages, je ne sais comment on peut le saisir. J'ai vu aujourd'hui Lao-tseu : il est comme le dragon ! »
Lao-tseu se livra à l'étude de la Voie et de la Vertu; il s'efforça de vivre dans la retraite et de rester inconnu. Il vécut longtemps sous la dynastie des Tcheou, et, la voyant tomber en décadence, il se hâta de quitter sa charge et alla jusqu'au passage de Han-kou (il semblerait que ce mot désigne ici le passage appelé Han-kou-kouan, qui est situé dans le district de Koutch'ing, dépendant de la province du Ho-nan où était né Lao-tseu). In-hi, gardien de ce passage, sachant que Lao-tseu était un homme extraordinaire, le suivit et l'interrogea sur le Tao. Il lui dit: « Puisque vous voulez vous ensevelir dans la retraite, je vous prie de composer un livre pour mon instruction ». Alors Lao-tseu écrivit un ouvrage en deux parties, qui renfermait un peu plus de cinq mille mots, et dont le sujet était la Voie et la Vertu : le célèbre « Tao-De-Jing » ou « Tao-Te-King » (« Dao » ou « Tao » signifiant la Voie et « De » ou « Te » signifiant la Vertu. Après quoi il s'éloigna; l'on ne sait où il finit ses jours.
De nombreuses histoires fabuleuses ont vu le jour sur cet être mystérieux, préférant l'obscurité et la retraite. En voici l'une d'elles composé sous la dynastie des Tsin par Ko-hong, vers l'an 350 de notre ère, et qui a servi de base à toutes celles que les Tao-sse ont données depuis sur le même sujet.
Lao-tseu avait pour petit nom Tchong-eul, et pour titre Pe-yang. Il était né dans le hameau de Khio-jin, dépendant du district de Khou, dans le royaume de Thsou. Sa mère devint enceinte par suite de l'émotion qu'elle éprouva en voyant une grande étoile filante.
C'était du ciel qu'il avait reçu le souffle vital ; mais, comme il fit son apparition dans une maison dont le chef s'appelait Li (poirier), on lui donna Li pour nom de famille. Certains écrivains racontent que sa mère ne le mit au monde qu'après l'avoir porté dans son sein pendant soixante-douze ans. Il sortit par le côté gauche de sa mère. En naissant il avait la tête blanche (les cheveux blancs) : c'est pourquoi on l'appela Lao-tseu (l'enfant-vieillard).
Comme il savait parler dès le moment de sa naissance, il montra le poirier et dit : Li (poirier) sera mon nom de famille.
Stanislas Aignan Julien, né à Orléans le 21 septembre 1797 et mort à Paris le 14 février 1873, était un célèbre sinologue français.
Professeur au Collège de France de 1832 à 1873, il était titulaire de la chaire de langue et littérature chinoises et tartare-mandchoues. Il fut élu membre de l'Académie des Inscriptions et Belles-lettres en 1833.
Considéré comme le plus grand sinologue de son temps, Stanislas Julien est connu pour ses nombreuses traductions de textes très divers (poésie, histoire naturelle, philosophie...). Il a également contribué aux études indiennes en exposant une Méthode de translation des mots sanscrits en chinois (1861).
En 1853, après douze années d'un labeur acharné, il publia en français les 2 volumes des « Mémoires sur les contrées occidentales », traduites du sanscrit en chinois par Hiouen-Thsang, en l'an 648.
Parmi les abondantes traductions de documents chinois, nous trouveront un résumé des principaux traités chinois sur la culture des mûriers et l'éducation des vers à soie (1837) ou l'histoire et la fabrication de la porcelaine chinoise (1856) ou encore « Le Livre des mille mots », de Thsien-tseu-wen. C'est le plus ancien livre élémentaire des chinois publié avec une double traduction et des notes (1864). Nous trouverons également « Le livre des récompenses et des peines » de Thaï-chang, accompagné de quatre cents légendes (1835) et « Le Livre de la voie et de la vertu » (1842).
Livre Premier (Tao-King ou Livre de la Voie)
Livre Premier - Chapitre I
Le TaoTeKing : Livre Premier - Chapitre I
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La voie qui peut être exprimée par la parole n'est pas la Voie éternelle ; le nom qui peut être nommé n'est pas le Nom éternel.
(L'être) sans nom(1) est l'origine du ciel et de la terre ; avec un nom, il est la mère de toutes choses.
C'est pourquoi, lorsqu'on est constamment exempt de passions, on voit son essence spirituelle ; lorsqu'on a constamment des passions, on le voit sous une forme bornée.
Ces deux choses ont une même origine et reçoivent des noms différents. On les appelle toutes deux profondes. Elles sont profondes, doublement profondes. C'est la porte de toutes les choses spirituelles.
(1) L'essence du Tao est vide et incorporelle. Lorsque les créatures n'avaient pas encore commencé à exister, on ne pouvait le nommer. Mais lorsqu'une influence divine et transformatrice leur eut donné le mouvement vital, alors ils sont sortis du non-être (du Tao) et le non-être a reçu son nom des êtres. (Tous les êtres sont venus de lui; c'est pourquoi on l'a appelé le Tao ou la Voie). Ce principe vide et immatériel est né avant le ciel et la terre ; c'est ainsi qu'il est l'origine du ciel et de la terre. Dès qu'il s'est manifesté au dehors, toutes les créatures sont nées de lui; c'est ainsi qu'il est la mère de tous les êtres.
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Livre Premier - Chapitre II
Le TaoTeKing : Livre Premier - Chapitre II
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Dans le monde, lorsque tous les hommes ont su apprécier la beauté (morale)(1), alors la laideur (du vice) a paru.
Lorsque tous les hommes ont su apprécier le bien, alors le mal a paru.
C'est pourquoi(2) l'être et le non-être naissent l'un de l'autre.
Le difficile et le facile se produisent mutuellement.
Le long et le court se donnent mutuellement leur forme.
Le haut et le bas montrent mutuellement leur inégalité.
Les tons et la voix s'accordent mutuellement.
L'antériorité et la postériorité sont la conséquence l'une de l'autre.
De là vient que le saint homme fait son occupation du non-agir(3).
Il fait consister ses instructions dans le silence.
Alors tous les êtres se mettent en mouvement, et il ne leur refuse rien.
Il les produit(4) et ne se les approprie pas.
Il les perfectionne et ne compte pas sur eux(5).
Ses mérites étant accomplis, il ne s'y attache pas(6).
Il ne s'attache pas à ses mérites ; c'est pourquoi ils ne le quittent point(7).
(1) Dans la haute antiquité, tous les peuples avaient de la droiture, et ils ne savaient pas qu'ils pratiquassent l'équité. Ils s'aimaient les uns les autres, et ils ne savaient pas qu'ils pratiquassent l'humanité. Ils étaient sincères, et ils ne savaient pas qu'ils pratiquassent l'honnêteté. Ils tenaient leurs promesses, et ils ne savaient pas qu'ils pratiquassent la fidélité dans les paroles. En voici la raison : tous les peuples étaient également bons et vertueux ; c'est pourquoi ils ne savaient pas distinguer les différentes nuances de vertus (littéralement, « ils ne savaient pas que le beau moral et le bien, fussent différents »). Mais, dans les siècles suivants, l'apparition du vice leur apprit, pour la première fois, à reconnaître la beauté morale ; l'apparition du mal leur apprit, pour la première fois, à reconnaître le bien. Quand le siècle fut dépravé davantage, le beau et le bien parurent avec plus d'éclat.
(2) Les comparaisons qui suivent ont pour but de montrer que la beauté morale et le vice, le bien et le mal se font ressortir mutuellement par leur opposition (littéralement, « se donnent mutuellement leur forme »), et montrent mutuellement leur inégalité, leur différence.
(3) Le saint homme se sert du Tao pour convertir le monde. Ses occupations, il les fait consister dans le non-agir; ses instructions, il les fait consister dans le non-parler, le silence (c'est-à-dire qu'il instruit par son exemple et non par des paroles). Il cultive le principal et ne s'appuie point sur l'accessoire. Le monde se convertit et l'imite. Ceux qui ne sont pas vertueux réforment leurs habitudes, et la vertu éminente passe dans les mœurs.
(4) Il peut les faire naître et ne les regarde pas comme étant sa propriété.
(5) Il peut les faire (ce qu'ils sont), mais jamais il ne compte sur eux pour en tirer profit.
(6) Quand ses mérites sont accomplis, jusqu'à la fin de sa vie, il les considère comme s'ils lui étaient étrangers, et ne s'y attache pas.
(7) Il ne s'attache pas à son mérite, c'est pour cela qu'il a du mérite. S'il s'attachait à son mérite, s'il s'en glorifiait, il le perdrait entièrement.
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Livre Premier - Chapitre III
Le TaoTeKing : Livre Premier - Chapitre III
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En n'exaltant(1) pas les sages, on empêche le peuple de se disputer.
En ne prisant pas les biens d'une acquisition difficile, on empêche le peuple de se livrer au vol(2).
En ne regardant point des objets propres à exciter des désirs, on empêche que le cœur du peuple ne se trouble(3).
C'est pourquoi, lorsque le saint homme gouverne, il vide son cœur(4), il remplit son ventre (son intérieur), il affaiblit sa volonté, et il fortifie ses os(5).
Il s'étudie constamment à rendre le peuple ignorant et exempt de désirs(6).
Il fait en sorte que ceux qui ont du savoir n'osent pas agir(7).
Il pratique le non-agir, et alors il n'y a rien qui ne soit bien gouverné.
(1) Quoique les saints hommes de la haute antiquité employassent les sages, jamais ils ne les exaltaient. Les sages de ces temps reculés occupaient leurs charges, mais ils ne les regardaient pas comme un sujet de gloire. Ils en supportaient les fatigues, mais jamais ils n'en tiraient profit. Lorsqu'une chose n'est point une source de gloire ni de profit, comment le peuple se disputerait-il pour l'obtenir ? Dans les siècles suivants, les sages jouirent du fruit de leur réputation. La multitude eut de l'estime pour eux et s'étudia à imiter. L'ambition naquit dans le cœur de l'homme, et l'on vit surgir pour la première fois un esprit de luttes et de combats opiniâtres. C'est pourquoi, en n'exaltant pas les sages, on empêche que le peuple ne se dispute.
(2) Les saints rois de la haute antiquité ne manquaient jamais de se servir des richesses pour nourrir le peuple; mais en s'efforçant de faciliter les échanges, par la voie du commerce, ils n'avaient pour but que d'aider le peuple à se procurer des habits et des aliments. Quant aux objets d'une autre sorte, comment le saint homme pourrait-il les priser ? Il se garde d'estimer les choses rares et de mépriser les choses usuelles. Il s'abstient de faire des choses inutiles, de peur de nuire à celles qui sont réellement utiles. Lorsqu'il a fourni au peuple les moyens suffisants pour s'habiller et se nourrir, le vol et les rapines se trouvent arrêtés à leur source. C'est pourquoi, en ne prisant pas les choses d'une acquisition difficile, on empêche que le peuple ne se livre au vol.
(3) Le cœur de l'homme est naturellement calme. Lorsqu'il se trouble et perd son état habituel, c'est qu'il est ému par la vue des choses propres à exciter des désirs. C'est pourquoi, en ne regardant pas les choses propres à exciter les désirs, on empêche que le cœur ne se trouble.
(4) Quand le saint homme gouverne l'empire, il ferme le chemin de la fortune et des honneurs, et il éloigne les objets de luxe ; par là il apprend au peuple à étouffer ses inclinations basses et cupides et à conserver sa simplicité primitive. Il reste calme et dégagé de toute pensée, alors son cœur (le cœur du saint homme) est vide. C'est pourquoi ses esprits et sa force vitale se conservent dans son intérieur, et son ventre se remplit. (Ces derniers mots doivent être pris au figuré).
(5) Il est humble et timide, et reste dans une inaction absolue. Alors sa volonté s'affaiblit. C'est pourquoi sa vigueur physique ne s'use pas et ses os deviennent forts.
(6) Le cœur de l'homme est naturellement dénué de connaissance et exempt de désirs ; mais le contact des créatures le pervertit et trouble sa pureté primitive. Alors il se compromet et se perd en recherchant une multitude de connaissances et en se livrant à une foule de désirs. Les mots « il fait que le peuple n'ait ni connaissances ni désirs » signifient uniquement qu'il le ramène à son état primitif.
(7) Celui qui a du savoir aime à créer des embarras qui agitent l'empire. Mais si l'homme connaît les inconvénients de l'action et les avantages du non-agir, il sera rempli de crainte et n'osera pas agir d'une manière désordonnée. Le meilleur moyen de procurer la tranquillité aux hommes, c'est le non-agir. C'est pourquoi, lorsqu'on pratique le non-agir (ceci se dit du roi), tout est bien gouverné.
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Livre Premier - Chapitre IV
Le TaoTeKing : Livre Premier - Chapitre IV
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Le Tao est vide ; si l'on en fait usage, il paraît inépuisable.
Ô qu'il est profond ! Il semble le patriarche(1) de tous les êtres.
Il émousse sa subtilité, il se dégage de tous liens, il tempère sa splendeur, il s'assimile à la poussière.
Ô qu'il est pur ! Il semble subsister éternellement.
J'ignore de qui il est fils ; il semble avoir précédé le maître du ciel.
(1) « maître, souverain »
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Livre Premier - Chapitre V
Le TaoTeKing : Livre Premier - Chapitre V
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Le ciel et la terre n'ont point d'affection particulière(1).
Ils regardent toutes les créatures comme le chien(2) de paille (du sacrifice).
Le saint homme(3) n'a point d'affection particulière ; il regarde tout le peuple comme le chien de paille (du sacrifice).
L'être qui est entre le ciel et la terre(4) ressemble à un soufflet de forge qui est vide et ne s'épuise point, que l'on met en mouvement et qui produit de plus en plus (du vent).
Celui qui parle beaucoup (du Tao) est souvent réduit au silence(5).
Il vaut mieux observer le milieu.
(1) Signifie ici « aimer d'une affection partiale et particulière. »
(2) Le ciel et la terre n'ont point d'affection particulière. Ils laissent tous les êtres suivre leur impulsion naturelle. C'est pourquoi toutes les créatures naissent et meurent d'elles-mêmes. Si elles meurent, ce n'est point par l'effet de leur tyrannie ; si elles naissent, ce n'est point par l'effet de leur affection particulière. De même, lorsqu'on a fait un chien avec de la paille liée, on le place devant l'autel où l'on offre le sacrifice, afin d'éloigner les malheurs ; on le couvre des plus riches ornements. Est-ce par affection ? C'est l'effet d'une circonstance fortuite. Lorsqu'on le jette dehors, après le sacrifice, les passants le foulent aux pieds. Est-ce par un sentiment de haine ? C'est aussi l'effet d'une circonstance fortuite.
(3) Telle est la vertu du ciel et de la terre : ils sont grandement justes pour tous, et n'ont aucune affection particulière. Ils laissent les créatures se produire et se transformer elles-mêmes. Le saint homme agit de même à l'égard du peuple. Ce passage veut dire que celui qui est grandement bienveillant et affectionné pour tous, n'est bienveillant ni affectionné pour personne en particulier.
(4) Entre le ciel et la terre, il y a un être éminemment divin. Ce passage a reçu deux interprétations.
Le première, cet être, c'est-à-dire le Tao, est vide et ne s'épuise pas; plus il se met en mouvement, et plus il se produit au dehors.
La seconde se rapporte au soufflet de forge, et est traduit : Il est vide et ne s'épuise pas; plus on le met en mouvement, et plus il fait sortir, plus il produit du vent.
(5) Telle est l'essence du Tao. Il est impossible de l'épuiser par des paroles. Si vous cherchez à l'expliquer par des paroles, plus vous les multiplierez, et plus vous serez réduit à un silence absolu (littéralement « Vous arriverez au comble de l'épuisement »). Mais si vous oubliez les paroles (si vous renoncez aux paroles), et si vous gardez le milieu (c'est-à-dire, si vous observez le non-agir), vous ne serez pas loin d'arriver au Tao.
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Livre Premier - Chapitre VI
Le TaoTeKing : Livre Premier - Chapitre VI
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L'esprit de la vallée(1) ne meurt pas ; on l'appelle la femelle mystérieuse.
La porte de la femelle(2) mystérieuse s'appelle la racine du ciel et de la terre.
Il est éternel et semble exister (matériellement).
Si l'on en fait usage, on n'éprouve aucune fatigue.
(1) Tous les êtres ont reçu la vie, et, en conséquence, ils sont sujets à la mort. L'Esprit de la vallée (le Tao) n'est point né, c'est pourquoi il ne meurt pas.
(2) Le mot « femelle » veut dire que le Tao est la mère de l'univers.
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Livre Premier - Chapitre VII
Le TaoTeKing : Livre Premier - Chapitre VII
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Le ciel et la terre ont une durée éternelle(1).
S'ils peuvent avoir une durée éternelle, c'est parce qu'ils ne vivent pas pour eux seuls. C'est pourquoi ils peuvent avoir une durée éternelle.
De là vient que le saint homme se met après les autres, et il devient le premier.
Il se dégage de son corps, et son corps se conserve.
N'est-ce pas qu'il n'a point d'intérêt privés ?
C'est pourquoi il peut réussir dans ses intérêts privés(2).
(1) Le Tao n'a point d'égoïsme. Si celui qui pratique le Tao estimait la vie et voulait en jouir pour lui seul, il ne se conformerait pas au Tao et ne pourrait nourrir sa vie (vivre longtemps). La meilleure voie pour nourrir sa vie, c'est de ne pas vivre pour soi seul. Celui qui ne tient pas à sa vie pratique le non-agir; si vous pratiquez le non-agir, vos esprits se fixeront en vous et vous pourrez vivre longtemps. Celui qui tient à la vie, qui vit pour lui seul, se livre à l'action. Si vous vous livrez à l'action, vos esprits s'abandonneront à des mouvements désordonnés et ne se reposeront jamais; par là vous détruirez vous même votre vie. Le saint homme contemple la voie du ciel et de la terre qui ne vivent point pour eux seuls (mais pour tous les êtres), et il reconnaît que quiconque cherche à vivre nuit à sa propre vie. C'est pourquoi il se met après les autres; il se dégage de son corps, de son individualité, pour imiter le ciel et la terre qui ne vivent point pour eux seuls, et alors il occupe le premier rang et se conserve longtemps.
(2) Le saint homme n'a point d'égoïsme; il n'a nul désir de réussir dans ses intérêts privés ; c'est pour cela qu'il y réussit. S'il avait ce désir, il aurait de l'égoïsme. Jamais on n'a vu personne qui, ayant de l'égoïsme, ait pu réussir dans ses intérêts privés.
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Livre Premier - Chapitre VIII
Le TaoTeKing : Livre Premier - Chapitre VIII
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L'homme d'une vertu supérieure est comme l'eau.
L'eau excelle à faire du bien aux êtres et ne lutte point.
Elle habite les lieux que déteste la foule.
C'est pourquoi (le sage) approche du Tao(1).
Il(2) se plaît dans la situation la plus humble.
Son cœur aime à être profond comme un abîme(3).
S'il fait des largesses, il excelle à montrer de l'humanité(4).
S'il parle, il excelle à pratiquer la vérité(5).
S'il gouverne(6), il excelle à procurer la paix.
S'il agit(7), il excelle à montrer sa capacité.
S'il se meut(8), il excelle à se conformer aux temps.
Il ne lutte contre personne ; c'est pourquoi il ne reçoit aucune marque de blâme(9).
(1) On peut dire que celui qui est comme l'eau (c'est-à-dire l'homme d'une vertu supérieure) approche presque du Tao.
(2) Il fuit l'élévation et aime l'abaissement.
(3) Il cache les replis les plus déliés de son cœur; il est tellement profond qu'on ne pourrait le sonder.
(4) Lorsqu'il répand ses bienfaits, il montre de la tendresse à tous les hommes et n'a d'affection particulière pour personne.
(5) Ses paroles se réalisent et ne sont jamais en défaut.
(6) S'il gouverne un royaume, les hommes deviennent purs, tranquilles, et se rectifient d'eux-mêmes.
(7) Quand il rencontre une affaire, il s'y prête et s'en acquitte d'une manière convenable, sans faire acception de personne.
(8) Soit qu'il faille s'avancer (pour obtenir un emploi) ou se retirer (d'une charge), conserver sa vie ou la sacrifier, il se conforme à la voie du ciel.
(9) Telle est en général la cause des luttes entre les hommes ; ils s'estiment sages et cherchent à l'emporter sur les autres. Si quelqu'un veut l'emporter sur les autres, ceux-ci voudront aussi l'emporter sur lui. Pourra-t-il ne pas être blâmé par les autres hommes ? Mais lorsqu'un homme ne songe qu'à être humble et soumis et ne lutte contre personne, la multitude aime à le servir et ne se lasse pas de l'avoir pour roi. Voilà pourquoi il n'est point blâmé.
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Livre Premier - Chapitre IX
Le TaoTeKing : Livre Premier - Chapitre IX
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Il vaut mieux ne pas remplir un vase que de vouloir le maintenir (lorsqu'il est plein).
Si l'on aiguise une lame, bien qu'on l'explore avec la main, on ne pourra la conserver constamment (tranchante).
Si une salle est remplie d'or et de pierres précieuses, personne ne pourra les garder.
Si l'on est comblé d'honneurs et qu'on s'enorgueillisse, on s'attirera des malheurs(1).
Lorsqu'on a fait de grandes choses et obtenu de la réputation, il faut se retirer à l'écart.
Telle est la voie du ciel(2).
(1) L'auteur veut dire qu'il ne pourra conserver ses richesses et ses honneurs.
(2) Toutes les choses décroissent et dépérissent lorsqu'elles sont arrivées à leur apogée. La joie extrême dégénère en douleur, et l'on tombe souvent du comble de l'illustration dans la disgrâce et le déshonneur. Quand le soleil est arrivé au plus haut de sa course, il s'abaisse vers le couchant; quand la lune est pleine, elle décroît.
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Livre Premier - Chapitre X
Le TaoTeKing : Livre Premier - Chapitre X
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L'âme spirituelle(1) doit commander à l'âme sensitive.
Si l'homme conserve l'unité, elles pourront rester indissolubles.
S'il dompte sa force vitale et la rend extrêmement souple, il pourra être comme un nouveau-né.
S'il se délivre des lumières de l'intelligence, il pourra être exempt de toute infirmité (morale).
S'il chérit le peuple et procure la paix au royaume, il pourra pratiquer le non-agir.
S'il laisse les portes du ciel s'ouvrir et se fermer(2), il pourra être comme la femelle (c'est-à-dire rester en repos).
Si ses lumières pénètrent en tous lieux, il pourra paraître ignorant(3).
Il produit les êtres et les nourrit.
Il les produit et ne les regarde pas comme sa propriété.
Il leur fait du bien et ne compte pas(4) sur eux.
Il règne sur eux et ne les traite pas en maître.
C'est ce qu'on appelle posséder une vertu profonde.
(1) (L'homme) a reçu une âme intelligente. S'il emploie sa volonté sans la partager (entre les choses du monde), son esprit se conservera constamment. Les sages qui cultivent le Tao font en sorte que l'âme spirituelle soit constamment unie, attachée à l'âme animale, de même que l'éclat du soleil est porté sur le corps opaque de la lune (comme l'homme est porté sur un char, comme un bateau est porté par l'eau). Il fait en sorte que l'âme animale retienne constamment l'âme spirituelle, de même que le corps opaque de la lune reçoit la lumière du soleil. Alors le principe spirituel ne s'échappe pas au dehors et l'âme animale ne meurt pas.
(2) Les portes du ciel tantôt s'ouvrent, tantôt se ferment. Lao-tseu veut dire que, « lorsqu'il faut s'arrêter, il s'arrête ; lorsqu'il faut marcher (agir), il marche. » Le mot « femelle, » indique le repos ; il répond au mot « se fermer. »
Telle est la voie du saint homme. Quoiqu'on dise que tantôt il se meut, tantôt il reste en repos, cependant il doit prendre la quiétude absolue pour la base de sa conduite. Lorsque le saint homme dirige l'administration du royaume, il n'y a rien qu'il ne voie à l'aide de sa pénétration profonde. Cependant il se conforme constamment aux sentiments et aux besoins de toutes les créatures. Il fait en sorte que les sages et les hommes bornés se montrent d'eux-mêmes, que le vrai et le faux se manifestent spontanément; et alors il ne se fatigue pas à exercer sa prudence. Les empereurs Yu et Chun suivaient précisément cette voie lorsqu'ils régnaient sur l'empire et le regardaient comme s'il leur eût été absolument étranger.
(3) Il n'y a que le saint homme qui puisse paraître ignorant et borné, lorsqu'il est arrivé au comble des lumières et du savoir. C'est ainsi qu'il conserve ses lumières, de même qu'un homme opulent conserve ses richesses en se faisant passer pour pauvre.
(4) Il n'attend d'eux aucune récompense.
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Livre Premier - Chapitre XI
Le TaoTeKing : Livre Premier - Chapitre XI
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Trente rais(1) se réunissent autour d'un moyeu. C'est de son vide que dépend l'usage du char.
On pétrit de la terre glaise pour faire des vases(2). C'est de son vide que dépend l'usage des vases.
On perce des portes et des fenêtres pour faire une maison(3). C'est de leur vide que dépend l'usage de la maison.
C'est pourquoi l'utilité vient de l'être(4), l'usage naît du non-être.
(1) Si le char n'était pas pourvu d'un moyeu creux qui permet à l'essieu de tourner, il ne pourrait rouler sur la terre.
(2) Si les vases n'avaient pas une cavité intérieure, ils ne pourraient rien contenir.
(3) Si une maison n'avait pas le vide des portes et des fenêtres qui permettent de sortir et d'entrer, et de laisser pénétrer la lumière du jour, on ne pourrait l'habiter.
(4) L'utilité des chars, des vases, des maisons, naît, pour tous les hommes de l'empire, de leur existence ou de leur possession. L'usage du char dépend du mouvement de l'essieu (dans la cavité du moyeu) ; l'usage des vases dépend de leur aptitude à contenir ; l'usage d'une maison dépend de sa propriété à laisser entrer et sortir les hommes et pénétrer la lumière. Ces différents usages dépendent eux-mêmes du vide (c'est-à-dire des parties creuses du moyeu, des vases et des maisons). C'est pourquoi Lao-tseu dit : C'est du vide que dépend l'usage.
Bien que l'auteur cite plusieurs fois dans ce chapitre l'être et le non-être (l'existence de ces objets et leur vide), si l'on recherche quel est son but, on reconnaîtra qu'il part de l'être (de ce qui existe) pour montrer d'une manière éclatante combien le non-être (le vide) est digne d'estime. Or personne n'ignore que l'être (ce qui existe) est utile, et que l'usage dépend du non-être (du vide). Mais tous les hommes négligent cette vérité et ne se donnent pas la peine de l'apercevoir. C'est pourquoi Lao-tseu emploie diverses métaphores pour la mettre dans tout son jour.
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Livre Premier - Chapitre XII
Le TaoTeKing : Livre Premier - Chapitre XII
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Les cinq couleurs(1) émoussent la vue de l'homme(2).
Les cinq notes (de musique) émoussent l'ouïe de l'homme.
Les cinq saveurs(3) émoussent le goût de l'homme(4).
Les courses violentes, l'exercice de la chasse égarent(5) le cœur de l'homme.
Les biens d'une acquisition difficile poussent l'homme à des actes qui lui nuisent.
De là vient que le saint homme s'occupe de son intérieur et ne s'occupe pas de ses yeux(6).
C'est pourquoi il renonce à ceci et adopte cela.
(1) Ce chapitre a pour but de montrer que l'homme doit se délivrer de la séduction des objets extérieurs, pour arriver à se perfectionner intérieurement. Les cinq couleurs seraient : le bleu, le rouge, le jaune, le blanc et le noir.
(2) Littéralement « font que les yeux des hommes deviennent aveugles ».
(3) Ce qui est doux, piquant, acide, salé, amer.
(4) Littéralement « font que la bouche des hommes se trompe ».
(5) Littéralement « font que le cœur de l'homme devient fou ».
(6) Signifie qu'il ne cherche point à réjouir ses yeux par la vue des objets extérieurs, de peur de troubler son cœur. Il renonce aux choses qui n'ont qu'une surface riche et brillante, et recherche uniquement les richesses intérieures du cœur, qui sont seules vraies et solides.
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Livre Premier - Chapitre XIII
Le TaoTeKing : Livre Premier - Chapitre XIII
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Le sage redoute la gloire comme l'ignominie ; son corps lui pèse comme une grande calamité.
Qu'entend-on par ces mots : il redoute la gloire comme l'ignominie(1) ?
La gloire est quelque chose de bas. Lorsqu'on l'a obtenue, on est comme rempli de crainte ; lorsqu'on l'a perdue, on est comme rempli de crainte.
C'est pourquoi l'on dit : il redoute la gloire comme l'ignominie(2).
Qu'entend-on par ces mots : son corps lui pèse comme une grande calamité?
Si nous éprouvons de grandes calamités, c'est parce que nous avons un corps.
Quand nous n'avons plus de corps (quand nous nous sommes dégagés de notre corps), quelles calamités pourrions-nous éprouver?
C'est pourquoi(3), lorsqu'un homme redoute de gouverner lui-même l'empire, on peut lui confier l'empire ; lorsqu'il a regret(4) de gouverner l'empire, on peut lui remettre le soin de l'empire.
(1) La gloire et l'ignominie ne sont pas deux choses distinctes. L'ignominie naît de la perte de la gloire; mais les hommes du siècle ne comprennent pas cette vérité, et ils regardent la gloire comme quelque chose d'élevé, l'ignominie comme quelque chose de bas. S'ils savaient que l'ignominie naît de la perte de la gloire, ils reconnaîtraient que la gloire est certainement quelque chose de bas et de méprisable.
(2) Il n'ose goûter la paix au milieu de sa gloire.
(3) Si l'homme est lié et embarrassé par les richesses et les honneurs, cela vient de ce qu'il ne sait pas contenir les affections qui sont inhérentes à sa nature. Lorsqu'il est placé au-dessus des autres hommes, pourrait-il ne pas être troublé?
(4) L'homme parfait n'a besoin de nourriture que ce qui lui est nécessaire pour apaiser sa faim (il ne recherche point une abondance de mets exquis), il n'a besoin d'habits que pour couvrir son corps (il dédaigne le luxe des vêtements); le peu qu'il demande aux hommes pour sa nourriture lui suffit amplement. Les richesses de tout l'empire, les revenus de toutes les provinces sont sans utilité pour la vie, et ne sont bonnes au contraire qu'à attirer de grands malheurs. C'est pourquoi il regarde le gouvernement de l'empire comme un lourd fardeau. Si l'on confie l'empire à un tel homme, tous les peuples de l'empire seront comblés de ses « bienfaits. »
Notre corps est un embarras pour nous. Dès que nous nous en sommes dépouillés (c'est-à-dire, dès que nous ne nous occupons plus des choses qui flattent les sens et les passions), nous sommes exempts de tout embarras, et nous n'éprouvons plus aucune calamité. Lorsque Chun n'était encore qu'un homme du peuple, il devint l'ami (et le ministre) de l'empereur (Yao); et cependant il était aussi indifférent à cette gloire que s'il l'eût possédée depuis sa naissance. Il fut élevé ensuite au sublime rang d'empereur : on pouvait dire qu'il était comblé d'honneurs, et cependant il y faisait aussi peu d'attention que s'ils lui eussent été étrangers.
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Livre Premier - Chapitre XIV
Le TaoTeKing : Livre Premier - Chapitre XIV
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Vous le regardez (le Tao) et vous ne le voyez pas : on le dit incolore.
Vous l'écoutez et vous ne l'entendez pas : on le dit aphone.
Vous voulez le toucher et vous ne l'atteignez pas : on le dit incorporel.
Ces trois qualités(1) ne peuvent être scrutées à l'aide de la parole. C'est pourquoi on les confond en une seule(2).
Sa partie supérieure(3) n'est point éclairée; sa partie inférieure n'est point obscure.
Il est éternel et ne peut être nommé.
Il rentre dans le non-être.
On l'appelle une forme sans forme, une image sans image(4).
On l'appelle vague, indéterminé.
Si vous allez au-devant de lui, vous ne voyez point sa face; si vous le suivez, vous ne voyez point son dos(5).
C'est en observant le Tao des temps anciens qu'on peut gouverner les existences d'aujourd'hui(6).
Si l'homme peut connaître l'origine des choses anciennes(7), on dit qu'il tient le fil du Tao.
(1) En général, lorsqu'on ne peut trouver une chose qu'on cherche, quelquefois on la trouve en interrogeant les autres. Il n'en est pas de même de ces trois choses. On aurait beau interroger les autres jusqu'à la fin de sa vie, on ne pourrait les atteindre, les comprendre. Mais si l'on renonce à ses lumières, si l'on se dépouille de son corps, alors on les comprendra, c'est-à-dire on comprendra le Tao dont elles sont les attributs.
(2) Ces trois mots (adjectifs) expriment pareillement l'idée de ce qui est vide et immatériel. En effet, ce qui est invisible ne diffère pas de ce qui est imperceptible à l'ouïe et au toucher. C'est pourquoi ces trois qualités ne peuvent se séparer ni se distinguer l'une de l'autre. On les confond et on les réunit en une seule qualité (qui est le vide, incorporéité), puisque, comme on l'a vu plus haut, elles donnent séparément et ensemble l'idée de ce qui est vide et immatériel.
(3) Le Tao n'a ni partie haute ni partie basse; par conséquent il n'est ni plus éclairé en haut ni plus obscur en bas.
(4) Les formes qui ont une forme, les images qui ont une image sont les êtres matériels. Les mots « forme sans forme, image sans image », désignent le Tao.
(5) C'est-à-dire : vous ne lui trouvez ni commencement ni fin.
(6) Lao-tseu entend les affaires du monde actuel. Pour bien les gouverner, il faut se reposer dans une quiétude absolue qui exclut toute occupation. C'est là ce que l'auteur appelle observer le Tao des temps anciens.
(7) Désigneraient le Tao des temps anciens.
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Livre Premier - Chapitre XV
Le TaoTeKing : Livre Premier - Chapitre XV
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Dans l'antiquité, ceux qui excellaient à pratiquer le Tao(1) étaient déliés et subtils, abstraits et pénétrants.
Ils étaient tellement profonds qu'on ne pouvait les connaître.
Comme on ne pouvait les connaître, je m'efforcerai de donner une idée (de ce qu'ils étaient).
Ils étaient timides comme celui qui traverse un torrent en hiver.
Ils étaient irrésolus comme celui qui craint d'être aperçu de ses voisins(2).
Ils étaient graves comme un étranger (en présence de l'hôte).
Ils s'effaçaient comme la glace qui se fond.
Ils étaient rudes(3) comme le bois non-travaillé.
Ils étaient vides(4) comme une vallée.
Ils étaient troubles(5) comme une eau limoneuse(6).
Qui est-ce qui sait apaiser peu à peu(7) le trouble (de son cœur) en le laissant reposer?
Qui est-ce qui sait naître peu à peu (à la vie spirituelle) par un calme prolongé(8)?
Celui qui conserve ce Tao ne désire pas d'être plein(9).
Il n'est pas plein (de lui-même), c'est pourquoi il garde ses défauts (apparents), et ne désire pas (d'être jugé) parfait.
(1) Ils s'identifiaient avec le Tao, c'est pourquoi ils étaient déliés et subtils, abstraits et pénétrants. Ils étaient tellement profonds qu'on ne pouvait les connaître ; comme on ne pouvait les connaître, il serait impossible de les dépeindre fidèlement. Je m'efforcerai de donner seulement une idée approximative de ce qu'ils paraissaient être.
(2) Ils étaient attentifs, se tenaient sur leurs gardes.
(3) C'est-à-dire « ce qui est dans son état naturel, ce qui est simple, sans ornement, sans élégance ». Ils avaient leur simplicité native.
(4) Ils étaient vides et dépouillés de tout (littéralement « ils ne renfermaient rien »).
(5) Ils paraissaient entourés de ténèbres et privés de discernement.
(6) Signifie qu'ils paraissent « ignorants, stupides ».
(7) Plus haut, le mot « trouble, » s'appliquait au sage qui paraît ignorant et stupide. Mais ici il se dit du cœur de la multitude qui est rempli de trouble et de désordre. L'eau qui est trouble peut s'épurer; mais si on ne la laisse pas reposer et qu'on la trouble sans cesse, elle ne pourra jamais devenir pure.
(8) Si l'on puise souvent de l'eau dans un puits, il ne manque pas de se troubler. Si un arbre est souvent transplanté, il ne manque pas de périr. Il en est de même de la nature et des affections de l'homme. Si nous déracinons nos affections, si nous réprimons nos pensées, alors les souillures et le trouble disparaîtront, et un éclat céleste viendra briller en nous. Si nous concentrons en nous-mêmes notre faculté de voir et d'entendre, alors nos esprits se calmeront, et nous naîtrons à la vie spirituelle. Si l'homme peut agir ainsi, de grossier qu'il était, il deviendra délié et subtil, et il ressemblera aux sages qui possédaient le Tao dans l'antiquité.
(9) Celui qui conserve ce Tao ne veut pas être plein. Il aime à être vide. En effet, ce qui est plein ne peut durer longtemps (ne tarde pas à déborder). C'est ce que déteste le Tao (il aime à être vide). Le sage estime ce qui est usé, défectueux (au figuré : aime à paraître rempli de défauts); les hommes du siècle estiment au contraire ce qui est neuf, nouvellement fait. Il ne veut pas être plein, c'est pourquoi il peut conserver ce qu'il a d'usé, de défectueux (en apparence), et ne désire pas d'être (brillant) comme une chose nouvellement faite.
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Livre Premier - Chapitre XVI
Le TaoTeKing : Livre Premier - Chapitre XVI
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Celui qui est parvenu au comble du vide garde fermement le repos(1).
Les dix mille êtres naissent ensemble(2); ensuite je les vois s'en retourner.
Après avoir été dans un état florissant, chacun d'eux revient à son origine(3).
Revenir à son origine s'appelle être en repos(4).
Etre en repos s'appelle revenir à la vie.
Revenir à la vie s'appelle être constant(5).
Savoir être constant s'appelle être éclairé(6).
Celui qui ne sait pas être constant s'abandonne au désordre et s'attire des malheurs(7).
Celui qui sait être constant a une âme large(8).
Celui qui a une âme large est juste.
Celui qui est juste devient roi.
Celui qui est roi s'associe au ciel(9).
Celui qui s'associe au ciel imite le Tao(10).
Celui qui imite le Tao(11) subsiste longtemps; jusqu'à la fin de sa vie, il n'est exposé à aucun danger.
(1) Le vide et le repos sont la racine (la base) de notre nature. Après avoir reçu la vie nous nous laissons entraîner par les choses sensibles, et nous oublions notre racine. Alors il s'en faut de beaucoup que nous soyons vides et tranquilles. C'est pourquoi celui qui pratique le Tao se dégage des êtres (litt. « des existences, ou de l'être ») pour parvenir au vide; il se délivre du mouvement pour parvenir au repos. Il continue à s'en dégager de plus en plus, et par là il arrive au comble du vide et du repos. Alors ses désirs privés disparaissent entièrement et il peut revenir à l'état primitif de sa nature. Or le vide et le repos ne sont pas deux choses distinctes. On n'a jamais vu une chose vide qui ne fût pas en repos, ni une chose en repos qui ne fût pas vide. Le philosophe Kouan-Tseu dit : Si l'on se meut, on perd son assiette; si l'on reste en repos, on se possède soi-même. Le Tao n'est pas éloigné de nous, et cependant il est difficile d'en atteindre le faîte. Il habite avec les hommes, et cependant il est difficile à obtenir. Si nous nous rendons vides de nos désirs (c'est-à-dire si nous nous dépouillons de nos désirs), l'esprit entrera dans sa demeure. Si nous expulsons toute souillure (de notre cœur), l'esprit y fixera son séjour.
Le même philosophe dit encore : Le vide n'est pas isolé de l'homme (il n'est pas hors de sa portée); mais il n'y a que le saint homme qui sache trouver la voie du vide (qui sache rendre son cœur complètement vide). C'est pourquoi Kouan-Tseu dit : quoiqu'il demeure avec eux, ils ont de la peine à l'obtenir.
L'esprit est l'être le plus honorable. Si un hôtel n'est pas parfaitement nettoyé, un homme honorable refusera d'y habiter. C'est pourquoi l'on dit : Si (le cœur) n'est parfaitement pur, l'esprit n'y résidera pas.
(2) Lao-tseu veut dire que les êtres se mettent en mouvement (croissent pour atteindre leur développement), et qu'à la fin ils retournent à leur racine, c'est-à-dire à l'origine d'où ils sont sortis. Lao-tseu veut mettre en lumière l'art de conserver le repos; c'est pourquoi il se sert de preuves tirées des objets sensibles pour expliquer sa pensée.
(3) Le mouvement (vital) prend naissance dans le repos. Après avoir été en mouvement, tous les êtres retournent nécessairement au repos, parce que le repos est comme leur racine (c'est-à-dire, est leur origine). C'est pour cela que l'on dit que retourner à sa racine, c'est entrer en repos.
(4) En naissant, l'homme est calme (il n'a pas encore de passions): c'est le propre de la nature qu'il a reçue du ciel. S'il garde le repos, il peut revenir à son état primitif. S'il se met en mouvement, il poursuit les êtres sensibles et le perd (il perd ce calme inné). On voit par là que rester en repos c'est revenir à la vie. (On a dit plus haut que le mouvement (vital) naît du repos).
Toutes les fois qu'on plante un arbre, dit Ou-Yeou-Thsing, au printemps et en été, la vie part de la racine, monte et s'étend aux branches et aux feuilles. Cela s'appelle leur mouvement. En automne et en hiver, la vie descend d'en haut, s'en retourne et se cache dans la racine. Cela s'appelle leur repos. L'auteur examine en général le principe de tous les êtres, et il n'est certainement pas permis de dire qu'il désigne particulièrement les plantes et les arbres.
(5) Dans le monde, il n'y a que les principes de la vie spirituelle qui soient constants. Toutes les autres choses sont sujettes au changement; elles sont inconstantes. Celui qui possède le Tao conserve son esprit par le repos ; les grandes vicissitudes de la vie et de la mort ne peuvent le changer. Celui qui peut revenir au principe de sa vie s'appelle constant. Mais celui qui ne peut revenir au principe de sa vie se pervertit et roule au hasard, comme s'il était entraîné par les flots. Que peut-il avoir de constant?
(6) On voit par là que ceux qui ne savent pas être constants sont plongés dans l'aveuglement.
(7) Comme ceux qui ne savent pas être constants se livrent au désordre et s'attirent des malheurs, on voit que ceux qui savent être constants sont droits et heureux.
(8) Celui qui ne sait pas être constant ne peut rendre son cœur vide pour qu'il contienne et embrasse les êtres. Mais celui qui sait être constant a un cœur immensément vide. Il n'y a pas un seul être qu'il ne puisse contenir et endurer.
Mais celui qui ne peut les contenir et les endurer a des voies étroites (littéralement « son Tao est étroit »). Il peut accorder de petits bienfaits, et ne peut montrer une grande équité. Celui qui peut contenir et endurer les êtres est immensément juste et équitable, et il est exempt des affections particulières qu'inspire la partialité. Etre juste, équitable et impartial, c'est posséder la voie du roi, ou l'art de régner en roi.
(9) La voie du ciel est extrêmement juste. Le roi étant extrêmement juste, sa voie peut s'associer au ciel ou à la voie du ciel.
(10) Le Tao nourrit également tous les êtres; le ciel seul peut l'imiter. La voie du roi peut s'associer au ciel, et alors il peut imiter le Tao.
(11) Celui qui possède le Tao étend ses mérites (ses bienfaits) sur tous les êtres, sur toutes les créatures. Ses esprits sont brillants, vides, tranquilles et immobiles.
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Livre Premier - Chapitre XVII
Le TaoTeKing : Livre Premier - Chapitre XVII
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Dans la haute antiquité, le peuple savait seulement qu'il avait des rois(1).
Les suivants(2), il les aima et leur donna des louanges.
Les suivants(3), il les craignit.
Les suivants(4), il les méprisa.
Celui qui n'a pas confiance dans les autres n'obtient pas leur confiance.
(Les premiers) étaient graves et réservés dans leurs paroles(5).
Après qu'ils avaient acquis des mérites et réussi dans leurs desseins, les cent familles disaient : Nous suivons notre nature(6).
(1) Les princes vertueux, de la haute antiquité pratiquaient le non-agir, et ne laissaient voir aucune trace de leur administration. C'est pourquoi le peuple connaissait seulement leur existence.
(2) Ceux qui vinrent après eux, et qui leur étaient inférieurs en mérite, gouvernaient par l'humanité et la justice. Le peuple commença à les aimer et à les louer. On était déjà loin de l'administration qui s'exerçait par le non-agir.
(3) Quand l'humanité et la justice furent épuisées (c'est-à-dire se furent évanouies du cœur des rois), ils se mirent à gouverner par la force et la prudence.
(4) Leurs sujets les regardèrent avec mépris, parce qu'à cette époque la prudence et la force avaient perdu leur empire.
(5) Lao-tseu revient aux princes d'un mérite sublime.
(6) Ils conformaient leur conduite aux temps où ils vivaient. Ils faisaient en sorte que tout le peuple pût suivre son naturel simple et candide. Les cent familles (le peuple) ne songeaient point à les aimer, à les louer, à les craindre ou à les mépriser (dispositions que Lao-tseu présente, au commencement de ce chapitre, comme des signes certains de l'affaiblissement graduel de la vertu chez les princes et les peuples).
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Livre Premier - Chapitre XVIII
Le TaoTeKing : Livre Premier - Chapitre XVIII
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Quand la grande Voie(1) eut dépéri, on vit paraître l'humanité et la justice.
Quand la prudence et la perspicacité se furent montrées, on vit naître une grande hypocrisie(2).
Quand les six parents(3) eurent cessé de vivre en bonne harmonie, on vit des actes de piété filiale et d'affection paternelle.
Quand les états furent tombés dans le désordre, on vit des sujets fidèles et dévoués(4).
(1) Quand la grande Voie était fréquentée, les hommes du peuple ne s'abandonnaient pas les uns les autres. Où était l'humanité ? (c'est-à-dire l'humanité ne se remarquait pas encore). Les peuples ne s'attaquaient point les uns les autres. Où était la justice? (c'est-à-dire la justice ne se remarquait pas encore). Mais, quand le Tao eut dépéri, l'absence de l'affection fit remarquer l'humanité; l'existence de la désobéissance ou de la révolte fit remarquer la justice (ou l'accomplissement des devoirs des sujets).
(2) Si ceux qui gouvernent ont recours à la prudence et à la ruse, le peuple suivra leur exemple et emploiera les ressources de son esprit pour violer impunément les lois.
(3) Cette expression désigne le père et le fils, les frères aînés et les frères cadets, le mari et la femme.
(4) Yao n'a pas manqué de piété filiale, et cependant l'histoire vante uniquement la piété filiale de Chun. C'est qu'Yao n'avait pas un Kou-seou pour père (la méchanceté de Kou-seou fit ressortir la piété filiale de Chun). I-yn et Tcheou-Kong n'ont pas manqué de loyauté envers leur souverain, et cependant l'histoire vante uniquement la loyauté de Long-fong et de Pi-kan (la cruauté des empereurs Kie et Tcheou fit ressortir leur vertu).
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Livre Premier - Chapitre XIX
Le TaoTeKing : Livre Premier - Chapitre XIX
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Si vous renoncez à la sagesse(1) et quittez la prudence, le peuple sera cent fois plus heureux.
Si vous renoncez à l'humanité et quittez la justice, le peuple reviendra à la piété filiale et à l'affection paternelle.
Si vous renoncez à l'habileté et quittez le lucre, les voleurs et les brigands disparaîtront.
Renoncez à ces trois choses(2) et persuadez-vous que l'apparence ne suffit pas.
C'est pourquoi je montre(3) aux hommes ce à quoi ils doivent s'attacher.
Qu'ils tâchent de laisser voir leur simplicité, de conserver leur pureté(4), d'avoir peu d'intérêts privés et peu de désirs.
(1) Ce sont les sages de la moyenne antiquité qui ont fait usage de la prudence, de l'humanité, de la justice pour gouverner le peuple. Mais l'exercice de ces vertus suppose une activité que blâme Lao-tseu et dont l'abus peut donner lieu au désordre. Si l'on veut faire revivre l'administration de la haute antiquité, il faut pratiquer le non-agir, et l'empire se purifiera de lui-même.
(2) Sagesse et la prudence, l'humanité et la justice, l'habileté et le lucre. Il faut renoncer à tout ce qui n'a qu'une apparence spécieuse.
(3) Pourquoi le saint homme renonce-t-il à ces trois choses lorsqu'il gouverne ? C'est parce qu'elles sont le contraire de la réalité (ici réalité veut dire la possession réelle de ces qualités). La réalité est le principal, l'apparence (c'est-à-dire l'apparence extérieure de ces qualités) n'est que l'accessoire. Celui qui s'applique à (montrer) l'apparence (d'une qualité) en perd la réalité; celui qui court après l'accessoire perd le principal. Quiconque estime le principal et la sincérité a une vertu solide qui peut subsister longtemps. L'arbre qui ne donne que des fleurs et ne produit pas de fruits n'offre qu'un avantage faible et passager; il est presque inutile. Tout ce qu'on vient de dire montre clairement que les apparences ne suffisent pas pour bien gouverner l'empire.
(4) S'ils laissent voir leur simplicité, s'ils conservent leur pureté, alors ils auront peu d'intérêts privés et peu de désirs.
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Livre Premier - Chapitre XX
Le TaoTeKing : Livre Premier - Chapitre XX_1
Le TaoTeKing : Livre Premier - Chapitre XX_2
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Renoncez à l'étude, et vous serez exempt de chagrins(1).
Combien est petite la différence de « weï » (un oui bref) et de « o » (un oui lent) !
Combien est grande la différence du bien et du mal!
Ce que les hommes craignent, on ne peut s'empêcher de le craindre(2).
Ils s'abandonnent au désordre et ne s'arrêtent jamais.
Les hommes de la multitude sont exaltés de joie comme celui qui se repaît de mets succulents, comme celui qui est monté, au printemps, sur une tour élevée.
Moi seul je suis calme : (mes affections) n'ont pas encore germé(3).
Je ressemble à un nouveau-né qui n'a pas encore souri à sa mère(4).
Je suis détaché de tout; on dirait que je ne sais où aller.
Les hommes de la multitude ont du superflu(5); moi seul je suis comme un homme qui a perdu tout.
Je suis un homme d'un esprit borné, je suis dépourvu de connaissances.
Les hommes du monde sont remplis de lumières ; moi seul je suis comme plongé dans les ténèbres.
Les hommes du monde sont doués de pénétration ; moi seul j'ai l'esprit trouble et confus.
Je suis vague comme la mer; je flotte comme si je ne savais où m'arrêter.
Les hommes de la multitude ont tous de la capacité(6); moi seul je suis stupide; je ressemble à un homme rustique(7).
Moi seul je diffère des autres hommes, parce que je révère la mère(8) qui nourrit (tous les êtres).
(1) Lao-tseu ne veut pas dire qu'il faut renoncer à toute espèce d'étude. Il parle des études vulgaires qui occupent les hommes du monde.
Les sages de l'antiquité étudiaient pour rechercher les principes intérieurs de leur nature. A l'exception de ces principes, ils n'appliquaient leur esprit à rien. C'est ce qu'on appelle pratiquer le non-agir, et faire consister son étude dans l'absence de toute étude. Mais quand les hommes eurent perdu ces principes, ils se pervertirent et se livrèrent aux études du monde. Une apparence spécieuse éteignit et remplaça la réalité. L'étendue des connaissances corrompit leur cœur. Au fond, ces études (du monde) n'ont aucune utilité et ne font au contraire qu'augmenter leurs chagrins. Le but le plus noble de l'étude est de nourrir notre nature (de la conserver dans sa pureté primitive); le meilleur moyen de nourrir sa nature est de se dégager de tout embarras. Mais aujourd'hui les études du monde nous appliquent aux choses extérieures qui enchaînent nos dispositions naturelles. N'est-ce pas comme si l'on prenait des médicaments qui ne feraient qu'augmenter la maladie? Que l'homme renonce à ces études mondaines et ne les cultive pas; alors il pourra être exempt de chagrins.
(2) Quoique le saint homme ne s'attache pas aux choses du monde, cependant il ne méprise pas les lois du siècle, il ne manque pas aux devoirs de sa condition, il ne viole pas les principes de la raison. Quelque rang qu'il occupe dans le monde ou dans l'administration, tout l'empire ne saurait voir en quoi il diffère des autres hommes.
(3) Signifie « le mouvement le plus léger, le plus faible, et, dans un sens verbal, avoir, montrer un mouvement faible et presque imperceptible, apparaître faiblement, comme les fissures déliées qui se montrent sur l'écaillé de la tortue (que l'on brûle pour en tirer des présages).
(4) Lorsqu'un nouveau-né peut sourire, ses affections naissent et son cœur commence à s'émouvoir. Lao-tseu veut dire que la multitude des hommes désire avidement les objets extérieurs et ne peut contenir ses transports de joie; lui seul a un cœur calme qui n'a pas encore commencé à éprouver la plus légère émotion; il ne sait pas se réjouir de la joie de la multitude.
(5) Les hommes de la multitude ont beaucoup acquis; tous ont du superflu. Mais moi, je ne possède pas une seule chose. Seul entre tous, je suis comme un homme qui a perdu ce qu'il possédait. Mais la possession est une chose illusoire ; c'est lorsqu'on ne possède rien qu'on possède de véritables richesses. (L'expression « ne posséder rien » s'entend des choses du monde ; « posséder de véritables richesses » se dit des richesses intérieures du sage qui s'est complètement dépouillé des choses sensibles).
(6) Tous les hommes se livrent à l'action (l'opposé du non-agir).
(7) Je suis comme un homme des champs, un homme qui a des dehors rudes et agrestes ( par opposition avec les hommes polis des villes).
(8) Tous les êtres ont besoin de l'assistance du Tao pour naître (et vivre). C'est pourquoi on l'appelle la mère de tous les êtres. De là lui vient la dénomination « la nourrice par excellence ».
Ce n'est pas qu'en réalité je sois un homme stupide. Si je diffère de la multitude, c'est que je connais le principal (la chose essentielle), je pénètre jusqu'à la source, je ne me laisse pas entraîner par le torrent des choses mondaines. Voilà ce que j'appelle « révérer la mère qui nourrit tous les êtres ».
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Terminologie
Tao : chez les écrivains de l'école de Confucius, il se prend, au figuré, dans le sens de Voie, et exprime la conduite régulière qu'il faut suivre, soit pour bien gouverner, soit pour pratiquer les principales vertus sociales ; ainsi l'on dit : la Voie de l'humanité, de la justice, des rites. « La Voie n'est pas fréquentée, dit Confucius ; je sais pourquoi : les hommes éclairés l'outrepassent, les ignorants ne l'atteignent pas ».
Chez les bouddhistes, le mot Tao a reçu le sens de « intelligence ». On appelait généralement les bouddhistes « Tao-jin, c'est-à-dire les hommes de l'intelligence (les hommes qui cherchent à atteindre l'intelligence, le principal attribut de Bouddha et le plus haut degré de la perfection) ».
Selon Lao-tseu : « Si j'étais doué de quelque prudence, je marcherais dans le grand Tao (dans la grande Voie). Le grand Tao est très-uni (la grande Voie est très unie), mais le peuple aime les sentiers. Le Tao peut être regardé comme la mère de l'univers. Je ne connais pas son nom; pour le qualifier, je l'appelle le Tao ou la Voie. »
Tao-sse : sectateur de Lao-tseu. Ce sont, avec les Bouddhistes, les fervents combattants des lettrés Confucianiste.