De nombreux récits jalonnent la voie des arts martiaux de tous les pays depuis la nuit des temps. Histoires vraies ou arrangées ou bien légendes il est difficile aujourd’hui de déterminer de quelles catégories elles se positionnent. Cependant, elles regorgent d’enseignements aptes à s’interroger sur leurs fondements. Les pratiquants y trouvent, selon leurs niveaux, des histoires sympathiques a partager avec leur amis (pratiquants eux aussi) voire avec leur enfants ou en extraient quelques bribes servant de base à leur méditation.
Il y avait autrefois un grand maître de sabre très célèbre dans tout le Japon : Tsukahara Bokuden. Il recevait, ce jour là, la visite d'un autre grand maître et voulut montrer l'enseignement qu'il avait donné à ses trois fils : Hikoshiro l’ainé, Hikogoro le cadet et Hikoroku le benjamin.
Le maître fit un clin d'œil à son invité et plaça un lourd vase de métal sur le coin des portes coulissantes, le cala avec un morceau de bambou et un petit clou, de façon à ce que le vase puisse s’écraser sur la tête du premier qui, ouvrant la porte, entrerait dans la pièce.
Tout en bavardant et en buvant le thé, le maître appela son fils aîné Hikoshiro qui vint aussitôt.
Avant d'ouvrir la porte, il sentit la présence du vase et l'endroit où il avait été placé. Il fit doucement glisser la porte, passa sa main gauche par l'entrebâillement de la porte pour saisir le vase et continua d'ouvrir la porte avec sa main droite. Puis, serrant le vase sur sa poitrine, il entra dans la pièce et refermant la porte derrière lui, replaça le vase au dessus de la porte coulissante : il avança alors et salua les deux maîtres.
"Voici mon fils aîné, dit le maître en souriant, il a très bien saisit mon enseignement et il sera certainement un jour maître de sabre".
Ayant appelé son second fils, Hikogoro, celui-ci entra sans hésitation. Il faillit recevoir le vase sur la tête et ne l'attrapa qu'au dernier moment.
"Voici mon second fils, dit le maître, il lui reste beaucoup à apprendre mais il s'améliore chaque jour."
Il appela alors le troisième fils Hikoroku qui était de loin le meilleur des trois au maniement du sabre. Entrant précipitamment dans la pièce, il reçut le vase sur la tête. Le coup fut sévère, mais avant que le vase n'atteignit le sol, il tira son sabre et d'un mouvement vif, coupa le vase en deux. "Voici mon plus jeune fils, dit le vieil homme, c'est le benjamin de la famille, il lui reste une très, très longue route à parcourir."
Un vieux maître de karaté entendait parfois dire ses élèves : « J'aimerais bien continuer la pratique du karaté, mais je n'ai plus le temps ».
Un jour il les réunit et leur dit « Pour comprendre comment planifier son temps, nous allons faire une expérience ». Il posa un grand vase sur la table. Puis, il prit une douzaine de cailloux gros comme des balles de tennis et les plaça, un par un, dans le vase. Lorsqu'il fut rempli, il demanda à ses élèves: « Est-ce que ce vase est plein ? ». Tous répondirent « Oui ».
Il ajouta « Vraiment ? ». Alors il prit du gravier, le versa sur les cailloux... et on le vit s'infiltrer jusqu'au fond du vase. Le maître redemanda « Est-ce que ce vase est plein ? ». Cette fois, l'un des brillants élèves répondit « Probablement pas ».
« Bien ! » fit le maître. Il prit alors du sable qui, petit à petit, remplit les espaces entre les cailloux et le gravier. De nouveau, il demanda « Est-ce que ce vase est plein ? ». Cette fois-ci tous répondirent « Non ! ».
Le vieux maître demanda « Quelle vérité nous démontre cette expérience ? ». Le plus audacieux des élèves, songeant au sujet du cours, répondit « Cela démontre que même si notre agenda est surchargé, nous pouvons toujours y ajouter quelques cours de karaté ! »
« Pas du tout ! Ce que nous démontre cette expérience, c'est que, si on ne met pas les gros cailloux en premier dans le récipient, on ne pourra jamais les faire entrer tous, par la suite ! »
Il y eut un profond silence devant l'évidence des ces propos. Le maître dit alors « Quels sont les gros cailloux dans votre vie ? Votre santé ? Votre famille ? Vos ami(e)es ? Vos cours de karaté ? Vos rêves ? Défendre une cause ? Ou... toute autre chose ? »
Ce qu'il faut retenir, c'est l'importance de mettre les gros cailloux en premier dans sa vie. En donnant la priorité aux peccadilles (gravier, sable), on remplira sa vie de peccadilles et on n'aura plus le temps pour les éléments essentiels.
Alors n'oubliez pas de vous demander « Quels sont mes gros cailloux ? » et mettez-les en premier dans votre agenda et votre vie.
L’histoire est celle d’un chat errant et du fameux Miyamoto Musashi, le plus grand samouraï du Japon féodal. (Né en 1584 et mort en 1645)
Il n’avait pas encore sept ans quand un jour son père, connu sous le nom de Munisai, lui dit :
« Regarde ce chat assoupi sur les dalles du jardin. Serais-tu capable de le tuer d'un seul coup de lame sans abimer ton Katana sur la pierre ? »
Piqué au vif, le jeune garçon descendit lentement vers le chat, bien décidé à relever le défi. Il observa un moment l'animal somnolent et sans méfiance au soleil.
Soudain, sa main droite se dirigea rapidement vers la poignée de son sabre. Musashi explosa dans l'action avec un Kiai strident, faisant jaillir la lame de son fourreau. Le chat, réveillé en sursaut, essaya de bondir... mais il était trop tard. Déjà la lame était sur lui après avoir décrit une courbe mortelle dans un bruissement de soie.
Le chat s'effondra sur la dalle. Il n'avait eu aucune chance.
Mais c'est à partir de là que l'histoire prend une toute autre ampleur.
Lorsque son père s'approcha du petit tas de fourrure inerte, il y chercha, en vain, une goutte de sang. Derrière lui, Musashi avait déjà rengainé son sabre et souriait paisiblement.
Très intrigué, Munisai regarda le chat de plus près. Il découvrit avec stupeur que la lame avait uniquement tranché un côté de la moustache du chat, au ras du museau, et que l'animal respirait toujours, probablement évanoui de peur.
Au regard étonné qu'il adressa à son fils, celui-ci répondit calmement en le regardant au fond des yeux : « On ne tue pas sans motif. Je n'avais pas envie de tuer ce petit chat. Même un chat errant a une vie, qu'on ne supprime pas par simple plaisir. Je lui ai laissé la vie car trancher plus que sa moustache aurait été facile, mais ne m’aurait rien apporté de plus ».
Munisai marmonna une réponse incompréhensible, mit la main sur l'épaule de Musashi, puis se détourna rapidement pour cacher à son fils la petite lueur de joie qui avait alors dansé dans son regard fier...
Le célèbre Maître Tsukahara Bokuden traversait le lac Biwa sur un radeau avec d'autres voyageurs. Parmi eux, il y avait un samouraï extrêmement prétentieux qui n'arrêtait pas de vanter ses exploits et sa grande maîtrise du sabre. A l'écouter, il était champion toutes catégories du Japon. C'est ce que semblaient croire tous les autres voyageurs qui l'écoutaient avec une admiration mêlée de crainte.
Tous? pas vraiment, car Bokuden restait à l'écart et ne paraissait pas le moins du monde gober cet amas de sornettes. Le samouraï s'en aperçut et, vexé, il s'approcha de Bokuden pour lui dire :
- "Toi aussi tu portes une paire de sabres. Si tu es samouraï, pourquoi ne dis tu pas mots ?"
Bokuden répondit calmement :
-"Je ne suis pas concerné par tes propos. Mon art est bien différent du tien. Il consiste, non pas à vaincre les autres, mais à ne pas être vaincu."
Le samouraï se gratta le crâne et demanda :
-"Mais alors, quelle est ton école ?"
-"C'est l'art de combattre sans armes."
-"Mais dans ce cas, pourquoi portes tu des sabres ?"
-"Cela m'oblige à rester maître de moi pour ne pas répondre aux provocations. C'est là un défi de tous les jours."
Exaspéré le samouraï continua :
-"Et tu penses vraiment pouvoir combattre avec moi sans sabre ?"
-"Pourquoi pas ? il est même possible que je gagne !"
Hors de lui le samouraï cria au passeur de ramer vers le rivage le plus proche, mais Bokuden suggéra qu'il était préférable d'aller sur une île, loin de toute habitation, pour ne pas provoquer d'attroupement et être plus tranquille. Le samouraï accepta. Quand le radeau atteignit une île inhabitée, le samouraï sauta à terre et dégaina son sabre, prêt au combat.
Bokuden enleva soigneusement ses deux sabres, les tendit au passeur et s'élança pour sauter à terre, quand, soudain, il saisit la perche du batelier, puis dégagea rapidement le radeau pour le pousser dans le courant.
Bokuden se retourna vers le samouraï qui gesticulait dans tous les sens sur l'île déserte et il lui cria :
-"Tu vois, c'est cela l'art de combattre sans arme !"
Un soir, alors que Shichiri Kojun récitait des sutras, un voleur, portant une épée tranchante, entra chez lui et lui demanda de lui donner sa bourse ou sa vie.
Shichiri lui dit : « Ne me dérange pas, l'argent est dans le tiroir ». Puis il se remit à réciter les sutras.
Peu après, il s'interrompit pour dire : « Ne prends pas tout, car je dois payer mes impôts demain ». L'intrus rassembla le plus gros de l'argent et s'apprêta à partir.
« Remercie lorsqu'on te fait un cadeau », ajouta Shichiri. L'homme le remercia et s'esquiva.
Quelques jours plus tard, on attrapa le voleur et celui-ci avoua ses larcins, dont le vol chez Shichiri. Quand ce dernier fut appelé comme témoin, il déclara: « Cet homme n'est pas un voleur, du moins en ce qui me concerne. Je lui ai donné l'argent et il m'a remercié. »
Après avoir accompli sa peine de prison, le voleur se rendit chez Shichiri et devint son disciple.
Un jour, au monastère se présente un homme d'un très bon niveau en arts martiaux.
En regardant pratiquer un moine devant lui, il demande au maître des lieux :
- Combien faut-il de temps pour atteindre le niveau de ce moine ?
- 10 ans, lui répondit le maître.
L'homme qui avait bon opinion de lui-même reste interloqué. Il s'attendait à moitié moins.
Il demande :
- Mais si je m'entraîne tous les jours ?
- 20 ans, lui dit le maître.
N'en croyant pas ses oreilles, l'homme insiste.
- Mais si je m'entraîne nuit et jour sans m'arrêter un seul instant ?
- 30 ans.
Sachant apprécier les enseignements de ce Maître Sufi, à la fois profonds et drôles, un notable lui envoya une invitation pour un banquet.
Le jour venu le Maître se présenta à l'adresse indiquée vêtu humblement de son habituel manteau de méditation en laine. Le personnel de maison, pensant avoir affaire à un mendiant, le conduisit à la cuisine pour lui offrir quelques restes. Le Maître, sans rien dire, retourna ensuite chez lui.
Ne voyant pas arriver son invité, le notable l'envoya chercher avec une belle voiture. Le Maître revêtit son plus beau manteau de soie brodé et se fit conduire chez son hôte. Le voyant arriver vêtu comme un noble, tous le recevèrent avec le plus grand respect et on lui réserva la place d'honneur.
Lors du repas, le Maître ne mangea pas mais mit une poignée de chaque plat dans une des poches de son manteau en disant : « Tiens, c'est pour toi ! ».
Son hôte et les autres convives trouvèrent ce comportement inquiétant. Serait-il devenu fou ? On lui demanda la raison de ce comportement étrange. Après un grand silence il expliqua qu'il s'était présenté pour le banquet, à l'heure prévue, mais qu'il avait été conduit à la cuisine, comme un mendiant, à la vue de son simple manteau de laine. Maintenant il trouvait normal de rendre hommage, à son tour, à ce qui était tellement important aux yeux de tous.
Ce disant il prit une cuisse de poulet et la mit dans une poche de son manteau en disant affectueusement : « Tiens, mon manteau, mange... puisque que c'est toi qu'on a invité ! »
Cette légende est tirée du journal « Le Ronin » de Roland Habersetzer.
Cette histoire fait partie de ces fameuses « Histoires de Dojo » dont les pratiquants débutants ont tant a apprendre et les autres quantités de choses à redécouvrir. S’ils ont la chance de l’écouter dans l'état d'esprit qui convient et, lorsque relatée par quelques « anciens » du Dojo, comme le veut la Tradition... Cette histoire est souvent attribuée à l'un des premiers maîtres d'escrime de l’Itto-ryu, Maître Shoken, et il y en a plusieurs versions. En voici une, résumée, afin d'en venir rapidement au message qu'elle véhicule, qui me permet de tenter d'éclairer le terme de Mushin (”l'esprit originel”) dont tout Budoka devrait avoir au moins une connaissance intellectuelle.
Il y avait, il y a bien longtemps, au Japon, une maison où la présence d'un gros rat dérangeait tout le monde. Un jour, le propriétaire de la maison, Maître Shoken, réussit à l'enfermer dans une pièce avec son chat.
Mais, à sa grande stupeur, celui-ci, cruellement mordu par la bête, s'enfuit sans demander son reste. Furieux, le maitre de maison, s’adressa à ses voisins, les priant de lui prêter leurs chats respectifs, parmi lesquels il devait bien y avoir l'animal qui viendrait à bout de l'indésirable vermine. Ainsi commencèrent à défiler dans la maison toute une série de chats de tous poils, races, corpulences, tempéraments...
Il y eut ainsi un jeune chat noir, aux griffes aiguisées, capable de sauter très haut comme de s'enfiler dans les recoins les plus difficiles, avec, déjà, un beau tableau de chasse en rats, loutres et belettes. Malgré ses qualités de fin technicien, son habileté cette fois ne lui servit à rien car celle du rat lui était encore supérieure. Son art du combat, qui avait jusque la fait des merveilles, s'avéra n'être encore que technique, tout à fait contournable.
Il y eut aussi un gros chat au pelage tigré, un animal vieillissant qui avait largement fait ses preuves, tout en expériences accumulées et en ruse, le corps rempli de cette énergie qui avait suffit jusqu'a ce jour a faire reculer l'adversaire le plus décidé. Mais, cette fois, la force de son esprit ne suffit pas, car il n'arriva pas à envelopper celle du rat, insaisissable et imprévisible. Son art du combat s'appuyait encore sur les sensations de son Ego, fort d’une réputation, mais impuissant devant la force instinctive supérieure du rat piégé, qui n 'avait plus rien à perdre.
Et puis il y eut un chat gris, visiblement plus âgé, que l'on savait avoir horreur de la bagarre. On l'envoya quand même dans la pièce ou se tapissait le rat. Le vieux chat avait développé un sens aigu de la perception et il était capable d'anticiper sur la moindre vibration adverse avec cette spontanéité naturelle que recherchent tous les maîtres d'arts martiaux. Mais, avec ce rat, il ne put reproduire un schéma qui lui avait déjà valu bien des victoires et forgé sa réputation. Justement... il y pensa au moment de l'action décisive, furtivement, mais assez pour échouer lui aussi.
Excédé, le maitre des lieux envoya quérir, à plusieurs lieux de là, une vieille chatte qu’'on lui disait particulièrement efficace. Quand il la vit, avec si peu d'allure et de vivacité, avec un regard qui lui semblait déjà terne, il eut un doute, mais décida d'essayer quand même. Bien lui en prit : la chatte pénétra simplement dans la pièce, comme s'il n’y avait là rien de particulier à redouter, s'avança vers le rat qui attendait soudain comme cloué sur place, le prit dans sa gueule et, sans geste brutal, le porta au dehors. Comme si c'était la chose la plus naturelle du monde...
Stupéfaction générale !
Le miracle s'appelait « Mushin ».
Celui dont le « Ki » (énergie de vie) se meut librement peut tout affronter, de la manière la plus juste dans une liberté d'action infinie et toujours adaptée à tout. Mais tout est perdu dès que le moindre soupçon de conscience de soi perturbe le flot de cette énergie “d'instinct” : dès que l'on fixe sa pensée, même fugitivement, sur un résultat ou la peur d’un échec, la vibration de “l'esprit originel” (Mushin), qui fait agir le corps au moment décisif, s'éteint aussitôt. C'est que l'action « juste » ne peut procéder que de l’Etre profond (le soi), non de l'ego superficiel (le Moi). Il faut agir sans intention, réussir sans agir, (au sens de la non participation de la volonté : c'est le concept chinois de “ Wou-wei ”, le « non-agir »). A tout instant, rester parfaitement libre de la conscience du “moi”, laisser faire le “soi” dans un jaillissement naturel, irrésistible, dense et efficace, dans la non-intentionnalité, en harmonie avec l'Univers. Libre de la pensée, qui limite, arrête, trouble. Même de la pensée de "bien" faire... Telle est la Voie.
Ne rien accumuler (techniques...), ne s'appuyer sur rien (styles...), pour qu’il n’y ait pas de "moi". Pour qu’il n’y ait pas de "contre-moi". Pas de sujet, pas d'objet. Pas de moi pas d'adversaire.
Tant que les choses (ou les concepts) gardent une forme, elles ont toujours une contre-forme. S'il y a combat, il ne faut s'arrêter sur rien, sur aucun mouvement adverse, sur aucun adversaire, sur aucune intention que l’on croit percevoir, pas même sur une victoire : si la « forme » de l'adversaire disparait, ne pas en prendre conscience, pour que l'esprit continue à se mouvoir librement, naturellement, dans un monde qui ne forme qu’un avec le "soi", c'est a dire avec "l'esprit originel". L’être en tant que tel n'a pas de nature propre. Il est au-delà de toutes les formes, conçues ou concevables...
Revenons plutôt à l’histoire des chats, qui n'est pas tout à fait terminée, et dont on comprendra mieux maintenant la chute.
Cette histoire dit aussi qu’il existait encore un chat bien plus efficace que la chatte qui avait attrapé le rat. Il vivait dans un autre village et c'était un très vieux matou qui dormait toute la journée comme une roche sans que personne ne put soupçonner en lui la moindre parcelle de force physique ou spirituelle. Et pourtant, là ou il choisissait de dormir il n'y avait jamais de rat. D’ailleurs, à vrai dire, personne ne lui en avait jamais vu attraper. Mais c’était ainsi. Il avait en réalité réalisé l’état le plus avancé de "Mushin", celui ou l'on oublie tout, l'environnement et soi-même, pour devenir..."rien", soit le vide sur lequel plus rien ne peut plus s'appuyer, c'est-à-dire le plus haut degré de la non-intentionnalité. Du coup, il était a même de vaincre sans avoir jamais a combattre. Quelques personnes seulement avaient entendu parler de cette efficacité absolue. Pour la majorité des villageois cependant, ce chat n’était rien, n’existait même pas à leurs yeux. Personne ne pensait jamais à lui. Il faisait simplement partie de l'environnement. Mais à part cela, il n'y avait jamais aucun problème dans sa vie de chat...
Les Hommes sont, les uns par rapport aux autres, comparables à des murs situés face à face. Chaque mur est percé d'une multitude de petits trous où nichent des oiseaux blancs et des oiseaux noirs. Les oiseaux noirs, ce sont les mauvaises pensées et les mauvaises paroles. Les oiseaux blancs, ce sont les bonnes pensées et les bonnes paroles.
Les oiseaux blancs ne peuvent entrer que dans les trous d'oiseaux blancs. Il en va de même pour les oiseaux noirs qui ne peuvent nicher que dans des trous d'oiseaux noirs. Maintenant, imaginons deux hommes qui se croient ennemis l'un de l'autre. Appelons-les Jean et Pierre.
Un jour, Jean, persuadé que Pierre lui veut du mal, se met en colère et lui envoie une très mauvaise pensée. Ce faisant, il lâche un oiseau noir et, du même coup, libère un trou correspondant. Son oiseau noir s'envole vers Pierre et cherche, pour y nicher, un trou vide adapté à sa forme. Si, de son côté, Pierre n'a pas envoyé d'oiseau noir vers Jean, c'est-à-dire s'il n'a envoyé aucune mauvaise pensée, aucun de ses trous noirs ne sera vide. Ne trouvant pas où se loger, l'oiseau noir de Jean sera obligé de revenir vers son nid d'origine, ramenant avec lui le mal dont il était chargé, qui finira par ronger et par détruire Jean lui-même.
Vous suivez toujours?
Imaginons maintenant que Pierre a, lui aussi, envoyé une mauvaise pensée. Ce faisant, il a libéré un trou où l'oiseau noir de Jean pourra entrer et y accomplir sa mission de destruction. Pendant ce temps, l'oiseau noir de Pierre volera vers Jean et viendra loger dans le trou libéré par l'oiseau noir de ce dernier. Ainsi les deux oiseaux noirs auront atteint leur but: détruire la personne auquel ils étaient destinés.
Mais une fois leur tâche accomplie, les oiseaux reviendront au point de départ, puisqu'il est dit que "toute chose retourne à sa source". Le mal dont ils étaient chargés n'étant pas épuisé, se retournera contre leurs auteurs - et achèvera de les détruire. L'auteur d'une mauvaise pensée, d'un mauvais souhait ou d'une malédiction est donc atteint à la fois par l'oiseau noir de son ennemi et par son propre oiseau noir lorsque celui-ci revient vers lui.
La même chose se produit avec les oiseaux blancs. Si nous envoyons que de bonnes pensées même envers notre ennemi alors que celui-ci ne nous adresse que de mauvaises pensées, ses oiseaux noirs ne trouveront pas de place où loger chez nous et retourneront à leur expéditeur. Quant aux oiseaux blancs porteurs de bonnes pensées que nous lui aurons envoyés, s'ils ne trouvent aucune place libre chez notre ennemi, ils nous reviendront chargés de toute l'énergie bénéfique dont ils étaient porteurs.
Ainsi, si nous n'émettons que de bonnes pensées, aucun mal, aucune malédiction ne pourra jamais nous atteindre dans notre être. C'est pourquoi il faut toujours bénir et ses amis et ses ennemis. Non seulement la bénédiction va vers son objectif pour y accomplir sa mission d'apaisement, mais encore elle revient vers nous, un jour ou l'autre, avec tout le bien dont elle était chargée.
Un mandarin partit un jour dans l'au-delà. Il arriva d'abord en enfer. Il y avait beaucoup d'hommes, attablés devant des plats de riz ; mais tous mouraient de faim car ils avaient des baguettes longues de deux mètres et ne pouvaient s'en servir pour se nourrir.
Puis il alla au paradis. Là aussi il vit beaucoup d'hommes devant des plats de riz ; tous étaient heureux et en bonne santé, eux aussi avaient des baguettes longues de deux mètres, mais chacun s'en servait pour nourrir celui qui était assis en face de lui.
A cette époque lointaine, le royaume des Ryu-kyu devait apporter un tribut au grand empire de Chine.
Cette année là, Sakugawa (« Teruya Chikudon Peichin Kanga » de son vrai nom) faisait route sur le bateau officiel du royaume en compagnie de personnalités importantes. Il devait avoir une trentaine d’années et était envoyé en Chine comme étudiant par l’administration du royaume des Ryu-kyu pour y développer ses qualités physiques et intellectuelles. Le tribut était composé de riches marchandises qu’il fallait absolument protéger des pirates des mers de Chine.
Le capitaine et l’équipage du Shinkôsen (nom du navire spécial qui apportait le tribut à la dynastie des Ming), se devaient de défendre coûte que coûte ce précieux chargement. Bien sûr le navire était armé mais surtout chaque passager était tenu, par ordre du roi, d’aider l’équipage en cas d’abordage par les pirates.
La réputation de Sakugawa en ce temps là était déjà très grande. Certes, il ne connaissait pas grand chose au combat maritime mais avoir un tel combattant près de soi était rassurant.
Le chef de la sécurité du navire en fit son assistant.
« Tu as vu qui est là pour nous protéger ? »
« Non ! »
« Tode Sakugawa lui même ! »
« Quoi ? Le célèbre Bushi. Celui devant qui même les Samuraï de Satsuma* tremblent ! »
« Oui, c’est lui. Il assiste le chef de la sécurité, je pense que nous ne risquons rien durant ce voyage »
« Quel bonheur nous pourrons boire à satiété, sans soucis ! La vie est belle »
Ainsi le voyage se déroulait sans encombre, les jours se succédaient sans la moindre trace des dangereux pirates. Avaient-ils eu vent que le célèbre Tode Sakugawa, celui qui maîtrisait l’art martial secret du royaume était parmi les passagers ? L’esprit tranquille, tout le monde vaquait à ses occupations.
Les côtes de l’empire du milieu se rapprochaient. Le soir tombait, c’était la dernière nuit de voyage avant l’arrivée à Fuzhou et tout le monde se réjouissait de fouler de nouveau la terre ferme.
C’était une nuit sans lune, les nuages obscurcissaient l’horizon mais le moral de tout le monde était au beau fixe après ce voyage sans encombre.
Soudain, un grand bruit éclata dans la nuit, des hurlements sauvages fusèrent de l’obscurité, puis des flèches jaillirent vers leurs cibles comme sorties du néant.
- « Nous sommes cernés, les pirates, les pirates » cria le vigile de permanence avant de tomber sous une nuée de flèches.
Tode Sakugawa dès le premier bruit avait compris et ne perdant pas un instant, se débarrassa de ses vêtements afin de ne pas être gêné dans ses mouvements et aussi pour ne pas se faire agripper par un pirate. Il saisit son Bô (bâton de 1,81 mètre toujours utilisé en Bôjutsu) qui était toujours près de lui et se précipita sur le pont où une mêlée indescriptible opposait les pirates à l’équipage.
Il se déplaçait en hurlant des poèmes, tant pour effrayer les pirates que pour donner du courage à ses compagnons.
Son Bô frappait devant, derrière. Il se déplaçait à une vitesse folle avec de grands gestes circulaires et petit à petit le vide se fît autour de lui.
Il restait pourtant un pirate, d’une force exceptionnelle, qui se battait avec férocité et détruisait tout sur son passage. Malgré l’obscurité, Kanga pouvait deviner le sourire de la brute. Sans perde un instant, il se dirigea vers lui mais à ce moment là il sentit dans son dos la présence de plusieurs bandits. Combien étaient-ils ? Quatre ? Cinq ? Peut-être plus.
Sakugawa n’avait pas le temps de réfléchir, il se tourna et utilisant son Bô dans la largeur, tenta de tous les envoyer par dessus bord. La manœuvre réussi mais il fut emporté lui aussi à la mer. Tout le monde pensa que le grand Sakugawa avait péri dans les flots.
Le lendemain, une patrouille navale du Fukian recueillit quelques pirates tombés à la mer. Les Chinois les arrêtèrent et ils furent mis au cachot. Parmi eux se trouvait Sakugawa bel et bien vivant. Il fut lui aussi accusé de piraterie. Il tenta d’expliquer la situation, mais rien n’y fit et il fut transféré à Pékin avec les autres prisonniers pour y être jugé.
A cette époque la piraterie était un gros problème pour l’empire chinois et l’administration était sans pitié. Sans surprise, le juge de l’administration pénale prononça la peine de mort pour tous. Le jour de l’exécution arriva. Comme de coutume, on donna comme dernier repas aux condamnés un véritable festin. Tous se jetèrent dessus et mangèrent comme de vulgaires cochons, sauf Kanga. En signe de protestation, il refusait de toucher à la nourriture bien qu’il n’eût rien mangé depuis plusieurs jours et continuait à clamer haut et fort son innocence.
Les gardes chinois s’étonnèrent de cet incident.
« Tu as vu ce gueux ? Il ne veut même pas manger ! Quel gaspillage, on ne nous donne pas une si bonne nourriture à nous ! »
« C’est étonnant, cela fait 15 ans que je suis garde et je n’ai jamais vu ça ! On doit en parler au chef ! »
« Laisse tomber, si il ne veut pas manger c’est son problème pas le nôtre »
« Non , je vais rapporter ce fait »
Le responsable des gardes fut très troublé par ce comportement aussi complètement inhabituel, et alla interroger le pirate »
« Pourquoi te comportes-tu ainsi ? »
« Je ne suis pas un pirate, Je suis Sakugawa Kanga l’envoyé du roi des Ryu-kyu. J’ai combattu les pirates et je suis tombé à la mer avec eux ! »
L’histoire du combat héroïque et de la bravoure du Bushi Sakugawa était parvenu jusqu’aux oreilles du responsable des gardes. Celui-ci comprit tout de suite à qui il avait à faire.
Non seulement Sakugawa fut libéré mais les dignitaires de Pékin enthousiasmés par son courage l’autorisèrent à rester et à pratiquer la boxe chinoise.
*- En 1609 Okinawa fut envahit par le clan Satsuma (de la région de Kagoshima) mais laissèrent une relative indépendance au petit royaume afin de pouvoir commercer avec la Chine.
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