Maître Funakoshi Le Dojo-kun
Livre Premier (Tao-King ou Livre de la Voie)
Chapitre I Ch. II Ch. III Ch. IV Ch. V Ch. VI Ch. VII
Ch. VIII Ch. IX Ch. X Ch. XI Ch. XII Ch. XIII Ch. XIV
Ch. XV Ch. XVI Ch. XVII Ch. XVIII Ch. XIX Ch. XX Ch. XXI
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Ch. XXIX Ch. XXX Ch. XXXI Ch. XXXII Ch. XXXIII Ch. XXXIV Ch. XXXV
Ch. XXXVI Ch. XXXVII
Livre Second (Te-King ou Livre de la Vertu)
Ch. XXXVIII Ch. XXXIX Ch. XL Ch. XLI Ch. XLII Ch. XLIII Ch. XLIV
Ch. XLV Ch. XLVI Ch. XLVII Ch. XLVIII Ch. XLIX Ch. L Ch. LI
Ch. LII Ch. LIII Ch. LIV Ch. LV Ch. LVI Ch. LVII Ch. LVIII
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Ch. LXXX Ch. LXXXI Terminologie

(suite) Tao Te King, Livre Second (Te-King ou Livre de la Vertu)

Livre Second - Chapitre XLI

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Le TaoTeKing : Livre Second - Chapitre XLI

Quand les lettrés supérieurs(1) ont entendu parler du Tao, ils le pratiquent avec zèle.
Quand les lettrés du second ordre ont entendu parler du Tao, tantôt ils le conservent, tantôt ils le perdent.
Quand les lettrés inférieurs ont entendu parler du Tao, ils le tournent en dérision. S'ils ne le tournaient pas en dérision, il ne mériterait pas le nom de Tao.
C'est pourquoi les anciens disaient: Celui qui a l'intelligence du Tao paraît enveloppé de ténèbres(2).
Celui qui est avancé dans le Tao ressemble à un homme arriéré(3).
Celui qui est à la hauteur du Tao ressemble à un homme vulgaire(4).
L'homme d'une vertu supérieure est comme une vallée.
L'homme d'une grande pureté est comme couvert d'opprobre.
L'homme d'un mérite immense paraît frappé d'incapacité.
L'homme d'une vertu solide semble dénué d'activité.
L'homme simple et vrai(5) semble vil et dégradé.
C'est un grand carré(6) dont on ne voit pas les angles; un grand vase qui semble loin d'être achevé; une grande voix dont le son est imperceptible; une grande image dont on n'aperçoit point la forme!
Le Tao se cache et personne ne peut le nommer.
Il sait prêter (secours aux êtres) et les conduire à la perfection.


(1) Le Tao est profond, éloigné. C'est l'opposé des choses matérielles. Quand les lettrés supérieurs entendent parler du Tao, ils peuvent le pratiquer avec zèle, parce qu'ils le comprennent clairement et y croient avec une forte conviction.
Les lettrés du second ordre conservent des doutes sur le Tao, parce qu'ils sont incapables de le connaître véritablement et d'y croire avec une forte conviction.
Quant aux lettrés inférieurs, ils se bornent à le tourner en dérision. S'ils ne le tournaient pas en dérision, le Tao ressemblerait aux idées, aux vues des lettrés inférieurs. Il ne mériterait pas le nom de Tao.

(2) Celui qui connaît le Tao arrive à une intelligence profonde. Alors il se dépouille de ses lumières et de sa pénétration, et il paraît comme un homme obtus et environné de ténèbres.

(3) Celui qui pratique le Tao arrive au comble de la perfection; mais il diminue sans cesse son propre mérite, et il ressemble à un homme qui n'a fait que marcher en arrière.

(4) L'homme qui possède le sublime Tao ne se distingue pas de la foule.

(5) L'homme simple et vrai retranche les ornements et supprime les dehors spécieux. Il ressemble à un objet qui s'est détérioré et qui n'a plus rien de neuf.

(6) Les rapporte au Tao.

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Livre Second - Chapitre XLII

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Le TaoTeKing : Livre Second - Chapitre XLII

Le Tao a produit Un(1); un a produit deux(2); deux a produit trois(3); trois(4) a produit tous les êtres.
Tous les êtres fuient le calme et cherchent le mouvement.
Un souffle immatériel(5) forme l'harmonie.
Ce que les hommes détestent, c'est d'être orphelins, imparfaits, dénués de vertu, et cependant les rois s'appellent ainsi eux-mêmes.
C'est pourquoi, parmi les êtres, les uns s'augmentent en se diminuant; les autres se diminuent en s'augmentant.
Ce que les hommes enseignent, je l'enseigne aussi(6).
Les hommes violents et inflexibles n'obtiennent point une mort naturelle.
Je veux prendre leur exemple pour la base(7) de mes instructions.


(1) Tant que le Tao était concentré en lui-même, Un n'était pas encore né. Un n'étant pas encore né, comment aurait-il pu y avoir deux? Deux n'existait pas parce que Un ne s'était pas encore divisé, répandu (dans l'univers pour former les êtres). Dès qu'il y a eu Un (c'est-à-dire dès que le Tao se fut produit au dehors), aussitôt il y a eu deux.

(2) Un a produit deux, c'est-à-dire, un s'est divisé en principe « In », « femelle, » et en principe « Yang », « mâle ».

(3) Deux a produit trois (c'est-à-dire, deux ont produit un troisième principe): le principe femelle et le principe mâle se sont unis et ont produit l'harmonie.

(4) Trois, c'est-à-dire ce troisième principe. Le souffle d'harmonie s'est condensé et a produit tous les êtres.

(5) Signifie à la fois « souffle » et « principe vital » mais ne se dit pas de l'âme intelligente de l'homme.

(6) Ce que les hommes enseignent, je n'ai jamais manqué de l'enseigner. Mais les hommes ordinaires ne savent pas enseigner les autres. Ils ne songent qu'à augmenter leurs connaissances (les connaissances des autres); ils les rendent orgueilleux, arrogants; et cette présomption les pousse à des actes violents. Ils ignorent que les hommes violents (qui cherchent à subjuguer les autres) ne meurent jamais d'une manière naturelle. Mais, moi, j'enseigne aux hommes à diminuer chaque jour leurs désirs, à se maintenir dans l'humilité et la modestie, pour conserver la vertu d'harmonie qui est la base et le soutien de leur vie.

(7) Lao-tseu dit que « Les hommes violents n'obtiennent pas une bonne mort ». Quoique les hommes de son temps professassent cette doctrine, ils n'en saisissaient pas le sens, et ne la regardaient pas comme très importante. L'auteur la prend pour base de ses instructions, parce qu'il en comprend toute la portée.

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Livre Second - Chapitre XLIII

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Le TaoTeKing : Livre Second - Chapitre XLIII

Les choses les plus molles du monde subjuguent(1) les choses les plus dures du monde.
Le non-être traverse les choses impénétrables. C'est par là que je sais que le non-agir est utile.
Dans l'univers, il y a bien peu d'hommes qui sachent instruire sans parler(2) et tirer profit du non-agir.


(1) L'eau est extrêmement molle, et cependant elle peut renverser les montagnes et les collines.

(2) Le Saint ne parle pas, et le peuple se convertit; il pratique le non-agir, et les affaires sont bien gouvernées. C'est par là que sa sincérité parfaite accomplit naturellement de grands mérites. Mais les autres hommes ont besoin de répandre des instructions pour qu'on leur obéisse; ils ont besoin d'agir pour réussir dans leurs desseins. Ils se donnent beaucoup de peine, et n'obtiennent que de minces résultats. Ils sont bien loin de la voie du Saint.
La voix qui s'exprime par des sons s'entend à peine jusqu'à cent lis; la voix qui est dénuée de son pénètre au-delà du ciel et ébranle tout l'empire.
Les paroles humaines ne sont pas comprises des différentes espèces d'hommes; mais, à la parole de l'être qui ne parle pas, le « In » et le « Yang » (le principe femelle et le principe mâle) répandent leurs influences fécondes, le ciel et la terre s'unissent pour produire les êtres. Or le Tao et la Vertu n'agissent pas, et cependant le ciel et la terre donnent aux créatures leur entier développement. Le ciel et la terre ne parlent pas, et cependant les quatre saisons suivent leur cours. C'est par là que je vois que le non-agir est utile aux hommes.

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Livre Second - Chapitre XLIV

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Le TaoTeKing : Livre Second - Chapitre XLIV

Qu'est-ce qui nous touche de plus près, de notre gloire(1) ou de notre personne?
Qu'est-ce qui nous est le plus précieux, de notre personne ou de nos richesses?
Quel est le plus grand malheur, de les acquérir ou de les perdre?
C'est pourquoi celui qui a de grandes passions est nécessairement exposé à de grands sacrifices.
Celui qui cache un riche trésor(2) éprouve nécessairement de grandes pertes.
Celui qui sait se suffire est à l'abri du déshonneur.
Celui qui sait s'arrêter ne périclite jamais.
Il pourra subsister(3) longtemps.


(1) Ce que les guerriers recherchent avec ardeur, c'est la gloire; et, pour l'obtenir, ils vont jusqu'à faire le sacrifice de leur vie. Ainsi ils ignorent que leur personne les touche de plus près que la gloire.
Ce que les hommes cupides recherchent avec ardeur, ce sont les richesses; et, pour les acquérir, ils vont jusqu'à exposer leur vie; ils ignorent que leur personne est plus précieuse que les richesses. Ils acquièrent les richesses, et ils perdent leur noblesse intérieure et leur richesse innée (leur vertu )!
Celui qui possède la vertu sait que la plus belle noblesse réside en lui-même, et il n'attend rien de la gloire; c'est pourquoi il sait se suffire et ne connaît point le déshonneur. Il sait que la richesse la plus précieuse réside en lui-même, et il n'attend rien des biens que procure l'opulence. C'est pourquoi il sait s'arrêter et ne périclite pas. N'étant exposé ni au déshonneur, ni au danger, il peut subsister longtemps.

(2) Si, pendant votre vie, vous cachez beaucoup de richesses dans vos coffres, on viendra vous attaquer et vous piller. Si, après votre mort, on dépose de grandes richesses dans votre tombeau, les voleurs violeront votre sépulture et fouilleront votre cercueil.

(3) Si un homme sait s'arrêter, se suffire, il trouvera en lui-même le bonheur et la fortune. En se gouvernant lui-même, il n'usera pas ses esprits; en gouvernant le royaume, il ne tourmentera pas le peuple. C'est pourquoi il pourra subsister longtemps.

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Livre Second - Chapitre XLV

L1-C45
Le TaoTeKing : Livre Second - Chapitre XLV

(Le Saint) est grandement parfait, et il paraît plein d'imperfections(1); ses ressources ne s'usent point.
Il est grandement plein, et il paraît vide; ses ressources ne s'épuisent point.
Il est grandement droit, et il semble manquer de rectitude.
Il est grandement ingénieux, et il paraît stupide.
Il est grandement disert, et il paraît bègue.
Le mouvement triomphe du froid; le repos triomphe de la chaleur(2).
Celui qui est pur et tranquille devient le modèle de l'univers.


(1) La perfection se détruit promptement, la plénitude s'épuise rapidement, parce que l'homme se glorifie de sa perfection et de sa plénitude, et ne sait pas les maintenir par le Tao. Pour conserver constamment sa perfection, il faut nécessairement paraître imparfait; pour garder constamment sa plénitude (la plénitude de sa vertu ou de ses richesses), il faut nécessairement paraître vide.

(2) Le mouvement peut triompher du froid (en produisant de la chaleur), mais il ne peut triompher de la chaleur (c'est-à-dire produire du froid); le repos peut triompher de la chaleur (en produisant du froid), mais il ne peut triompher du froid (le froid naît de la cessation du mouvement, c'est-à-dire du repos). Chacune de ces deux choses a une propriété limitée. Mais lorsque l'homme est pur, tranquille, non-agissant, quoiqu'il ne cherche point à triompher des êtres, aucun être du monde ne peut triompher de lui. C'est pourquoi Lao-tseu dit: L'homme pur et calme devient le modèle de l'empire.

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Livre Second - Chapitre XLVI

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Le TaoTeKing : Livre Second - Chapitre XLVI

Lorsque le Tao régnait dans le monde(1), on renvoyait les chevaux pour cultiver les champs.
Depuis que le Tao ne règne plus dans le monde(2), les chevaux de combat naissent sur les frontières.
Il n'y a pas de plus grand crime que de se livrer à ses désirs.
Il n'y a pas de plus grand malheur que de ne pas savoir se suffire.
Il n'y a pas de plus grande calamité que le désir d'acquérir.
Celui qui sait se suffire est toujours content de son sort.


(1) Quand l'empire suit la droite voie, on renvoie les chevaux (de l'armée) dans l'intérieur du royaume et l'on n'en fait aucun usage. Les hommes s'appliquent uniquement à cultiver les champs. Quand l'empire ne suit pas la droite voie, etc...

(2) La guerre se prolongeant, les chevaux ne reviennent plus dans l'intérieur du royaume, et restent si longtemps en dehors des frontières, qu'ils peuvent y propager leur race.

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Livre Second - Chapitre XLVII

L1-C47
Le TaoTeKing : Livre Second - Chapitre XLVII

Sans sortir de ma maison, je connais l'univers(1); sans regarder par ma fenêtre, je découvre les voies du ciel.
Plus l'on s'éloigne et moins l'on apprend(2).
C'est pourquoi le sage arrive (où il veut) sans marcher; il nomme les objets sans les voir; sans agir, il accomplit de grandes choses.


(1) Tous les hommes de l'univers tendent au même but, quoique par des voies diverses. Leurs sentiments ne diffèrent pas des miens. C'est pourquoi, sans sortir de ma maison, je peux connaître l'univers; sans regarder par ma fenêtre, je peux connaître les voies du ciel. Ce qu'il y a de plus important pour l'homme réside dans son intérieur, et par conséquent très près de lui. S'il le cherche au dehors, il s'en éloigne de plus en plus.

(2) Les hommes du monde sont aveuglés par l'intérêt et les passions. Ils s'élancent au dehors pour les satisfaire. L'amour du lucre trouble leur prudence. C'est pourquoi, de jour en jour, ils s'éloignent davantage de leur nature. La poussière des passions s'épaissit davantage de jour en jour, et leur cœur s'obscurcit de plus en plus. C'est pourquoi, plus ils s'éloignent, et plus leurs connaissances diminuent. Mais le saint homme reste calme et sans désirs; il ne s'occupe point des choses sensibles, et, en restant en repos, il comprend tous les secrets de l'univers.

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Livre Second - Chapitre XLVIII

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Le TaoTeKing : Livre Second - Chapitre XLVIII

Celui qui se livre à l'étude augmente chaque jour (ses connaissances).
Celui qui se livre au Tao diminue chaque jour (ses passions).
Il les diminue et les diminue(1) sans cesse jusqu'à ce qu'il soit arrivé au non-agir.
Dès qu'il pratique le non-agir il n'y a rien qui lui soit impossible.
C'est toujours par le non-agir que l'on devient le maître de l'empire.
Celui qui aime à agir est incapable de devenir le maître de l'empire(2).


(1) Les désirs de l'homme sont très nombreux. Quoiqu'il les diminue chaque jour, il ne peut les détruire promptement; c'est pourquoi il faut qu'il les diminue sans relâche. Ensuite ses désirs s'épuisent peu à peu, et il parvient au non-agir. Dès qu'il est parvenu au non-agir, il est semblable au Tao. Intérieurement il devient un saint, extérieurement il devient le maître de tout l'empire.

(2) Les hommes de l'empire aiment le repos et la quiétude; ils abhorrent le trouble et le désordre. Ils se soumettent aux princes justes et humains; ils abandonnent ceux qui sont violents et cruels. Lorsque le roi se dégage de toute occupation (c'est-à-dire lorsqu'il pratique le non-agir), le peuple goûte la paix, et l'empire se soumet à lui. Lorsqu'il se livre à l'action, il fatigue et tourmente ses sujets par une foule de règlements, et tout l'empire l'abandonne.

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Livre Second - Chapitre XLIX

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Le TaoTeKing : Livre Second - Chapitre XLIX

Le Saint n'a point de sentiments immuables. Il adopte les sentiments du peuple.
Celui qui est vertueux, il(1) le traite comme un homme vertueux; celui qui n'est pas vertueux, il le traite aussi comme un homme vertueux. C'est là le comble de la vertu.
Celui qui est sincère, il le traite comme un homme sincère; celui qui n'est pas sincère, il le traite aussi comme un homme sincère. C'est là le comble de la sincérité.
Le Saint vivant dans le monde reste calme et tranquille, et conserve(2) les mêmes sentiments pour tous.
Les cent familles attachent sur lui leurs oreilles et leurs yeux.
Le Saint regarde le peuple comme un enfant(3).


(1) Il n'a point de sentiments déterminés; il base ses sentiments sur ceux du peuple. Que les hommes soient vertueux ou dénués de vertu, il les traite tous comme des gens vertueux; qu'ils soient sincères ou hypocrites, il les traite tous comme des gens sincères. Il sait que la vertu ou le vice, la sincérité ou l'hypocrisie résident en eux; c'est pourquoi ses sentiments ne changent point. S'il en était autrement, s'il traitait les hommes vertueux comme tels, et rejetait les hommes dénués de vertu; s'il traitait les hommes sincères comme tels, et repoussait les hypocrites, pourrait-on dire qu'il sait constamment sauver les hommes? C'est pourquoi il ne repousse personne. Dans le monde, les bons et les méchants, les gens sincères et les hypocrites s'approuvent eux-mêmes, tandis qu'ils se calomnient et se déchirent les uns les autres. Le Saint les traite tous de la même manière. Il ne se réjouit point à la vue des bons; il ne témoigne point de déplaisir à la vue des méchants. De cette manière, les uns (les bons) ne s'enorgueillissent point, les autres (les méchants) ne s'irritent point. Alors tous se convertissent, et le monde commence à goûter la paix.

(2) Cette expression veut dire qu'il traite les hommes pervers et hypocrites comme s'ils étaient vertueux et sincères, et ne met aucune différence entre eux.

(3) Le peuple voyant que le Saint semble ne pas distinguer les bons des méchants, n'en peut sonder le motif et le regarde avec étonnement; c'est pourquoi il attache sur lui ses oreilles et ses yeux. De son côté le Saint regarde le peuple comme un enfant. Il sait qu'il est dépourvu de connaissance comme un enfant. En effet, un enfant a des vues trop bornées pour comprendre la conduite d'un grand homme. De même le peuple ne saurait sonder et comprendre les voies du Saint.

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Livre Second - Chapitre L

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Le TaoTeKing : Livre Second - Chapitre L

L'homme sort de la vie pour entrer dans la mort(1).
Il y a treize causes de vie et treize causes de mort(2).
A peine est-il né que ces treize causes de mort l'entraînent rapidement au trépas.
Quelle en est la raison? C'est qu'il veut vivre avec trop d'intensité(3).
Or j'ai appris que celui qui sait gouverner sa vie ne craint sur sa route ni le rhinocéros, ni le tigre.
S'il entre dans une armée, il n'a besoin ni de cuirasse, ni d'armes.
Le rhinocéros ne saurait où le frapper de sa corne, le tigre où le déchirer de ses ongles, le soldat où le percer de son glaive.
Quelle en est la cause? Il est à l'abri de la mort(4).


(1) La vie et la mort sont deux choses qui se correspondent. La mort est la conséquence de la vie. Dès que l'homme est sorti de la vie, il entre immédiatement dans la mort. Les anciens disaient: Tous les hommes désirent uniquement de se délivrer de la mort; ils ne savent pas se délivrer de la vie.

(2) Il y a treize causes de vie, c'est-à-dire treize moyens d'arriver à la vie spirituelle, savoir: la vacuité, rattachement au non-être, la pureté, la quiétude, l'amour de l'obscurité, la pauvreté, la mollesse, la faiblesse, l'humilité, le dépouillement, la modestie, la souplesse, l'économie.
Il y a treize causes de mort, qui sont le contraire des treize états que nous venons d'énumérer, savoir: la plénitude, l'attachement aux êtres, l'impureté, l'agitation, le désir de briller, la richesse, la dureté, la force, la fierté, l'excès de l'opulence, la hauteur, l'inflexibilité, la prodigalité.

(3) L'auteur parle ici des hommes du siècle, qui sont passionnément attachés à la vie mondaine et qui ne connaissent pas le Tao. Comment se fait-il qu'en cherchant avidement le bonheur ils trouvent le malheur? C'est parce qu'ils ne songent qu'à contenter leurs passions et à satisfaire leurs intérêts privés; ils ne savent pas que plus ils sont ardents à chercher les moyens de vivre, plus ils approchent de la mort.

(4) Un ancien disait: Celui qui aime la vie peut être tué; celui qui aime la pureté peut être souillé; celui qui aime la gloire peut être couvert d'ignominie; celui qui aime la perfection peut la perdre. Mais si l'homme reste étranger à la vie (corporelle), qui est-ce qui peut le tuer? S'il reste étranger à la pureté, qui est-ce qui peut le souiller? S'il reste étranger à la gloire, qui est-ce qui peut le déshonorer? S'il reste étranger à la perfection, qui est-ce qui peut la lui faire perdre? Celui qui comprend cela peut se jouer de la vie et de la mort.

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Livre Second - Chapitre LI

L1-C51
Le TaoTeKing : Livre Second - Chapitre LI

Le Tao produit(1) les êtres, la Vertu les nourrit. Ils leur donnent un corps et les perfectionnent par une secrète impulsion.
C'est pourquoi(2) tous les êtres révèrent le Tao et honorent la Vertu.
Personne(3) n'a conféré au Tao sa dignité, ni à la Vertu sa noblesse: ils les possèdent éternellement en eux-mêmes.
C'est pourquoi le Tao produit les êtres, les nourrit, les fait croître, les perfectionne, les mûrit, les alimente, les protège.
Il les produit et ne se les approprie point; il les fait ce qu'ils sont et ne s'en glorifie point; il règne sur eux et les laisse libres(4).
C'est là ce qu'on appelle une vertu profonde.


(1) Ce qui est vide, non-être, immatériel, s'appelle « Tao » ou la Voie; ce qui transforme et nourrit toutes les créatures s'appelle « Te » ou la Vertu.

(2) Il n'y a pas un seul être qui, depuis sa naissance jusqu'à son entier développement, n'ait eu besoin du Tao et de la Vertu. C'est pourquoi tous les êtres les honorent et les révèrent pareillement.

(3) Il n'y a pas un seul être qui apporte sa noblesse en naissant. Pour que l'empereur soit révéré et entouré d'honneurs, il faut qu'il ait été institué par le ciel. Pour que les vassaux soient révérés et entourés d'honneurs, il faut qu'ils aient été institués par l'empereur. Mais le Tao et la Vertu n'ont pas besoin qu'on leur confère leur dignité et leur noblesse; ils sont honorables par eux-mêmes.

(4) Quoiqu'il règne sur eux comme un prince, il les laisse suivre leur nature; jamais il ne les a tenus sous ses lois. Telle est sa vertu dont le peuple est incapable de sonder la profondeur.

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Livre Second - Chapitre LII

L1-C52
Le TaoTeKing : Livre Second - Chapitre LII

Le principe(1) du monde est devenu la mère du monde.
Dès qu'on possède la mère(2), on connaît ses enfants.
Dès que l'homme connaît les enfants et qu'il conserve leur mère, jusqu'à la fin de sa vie il n'est exposé à aucun danger(3).
S'il clôt sa bouche(4), s'il ferme ses oreilles et ses yeux(5), jusqu'au terme de ses jours, il n'éprouvera aucune fatigue.
Mais s'il ouvre sa bouche et augmente ses désirs(6), jusqu'à la fin de sa vie, il ne pourra être sauvé.
Celui qui voit les choses les plus subtiles(7) s'appelle éclairé; celui qui conserve la faiblesse s'appelle fort.
S'il fait usage(8) de l'éclat (du Tao) et revient à sa lumière, son corps n'aura plus à craindre aucune calamité.
C'est là ce qu'on appelle être doublement éclairé.


(1) Lorsque le Tao n'avait pas encore de nom, les êtres reçurent de lui leur principe; lorsqu'il eut un nom (lorsqu'il eut le nom de Tao), les êtres reçurent de lui leur vie. C'est pourquoi le Tao est appelé d'abord principe et ensuite mère. Les mots « ses enfants » désignent tous les êtres. Le Saint connaît tous les êtres, parce qu'il s'est identifié avec le Tao, de même que par la mère on connaît les enfants. Mais, quoique sa rare prudence lui permette de pénétrer tous les êtres, jamais les êtres ne lui font oublier le Tao. C'est pourquoi, jusqu'à la fin de sa vie, il conserve fidèlement leur mère (le Tao). Le malheur des hommes du siècle, c'est d'oublier le Tao, en recherchant avec ardeur les objets et les choses qui flattent leurs sens.

(2) Toutes les choses du monde sont étalées devant nos yeux. Parmi les hommes instruits, il y en a qui ne les connaissent pas; alors ils conservent encore une multitude de doutes. Il est quelques hommes qui les connaissent, mais d'une manière vague et incertaine. Il leur est impossible de posséder la mère des êtres (le Tao); ils diffèrent peu de ceux qui ne connaissent pas les êtres. Mais lorsqu'un homme connaît les enfants (les êtres), par cela même qu'il connaît la mère (le Tao), il n'y a rien au monde qu'il ne connaisse. Or celui qui possède la mère ne veut pas uniquement connaître les enfants; ce qu'il désire, c'est de conserver la mère (le Tao).
Si l'homme connaissait les enfants et ne conservait pas la mère, il laisserait le principal (le Tao) pour courir après l'accessoire (les créatures), et il finirait par détruire sa vie de mille manières. Quand il pourrait embrasser par ses connaissances le ciel et la terre, façonner par son habileté les dix mille êtres, pénétrer par sa puissance l'intérieur des mers, il ne mériterait aucune estime.

(3) Celui qui conserve la mère des êtres (qui pratique constamment le Tao) est comme un arbre qui a des racines profondes et une tige solide; il possède l'art de subsister longtemps.

(4) Il faut fermer la bouche, afin que les choses intérieures ne s'échappent pas au dehors. Alors, le cœur ne s'égare pas en voulant se mettre en rapport avec les objets sensibles.

(5) Lao-tseu lui conseille de fermer les oreilles et les yeux, afin que les choses extérieures n'entrent point dans son âme. S'il agit ainsi, il pourra, toute sa vie, faire usage du Tao et n'éprouvera jamais aucune fatigue. Mais s'il se livrait aux désirs qui flattent les oreilles et les yeux, s'il se laissait entraîner par l'impétuosité des sens sans revenir dans la bonne voie, il perdrait son cœur sous l'influence des êtres, et, jusqu'à la fin de sa vie, il ne pourrait être sauvé.

(6) Si l'homme ouvre sa bouche, il sera bientôt entraîné vers la mort et ne pourra jamais être sauvé.

(7) Si l'homme ne voit les choses que lorsqu'elles ont éclaté au grand jour, il est évident que son esprit est incapable de connaître ce qu'il y a de plus subtil. Mais celui qui aperçoit les germes imperceptibles du malheur et du désordre avant qu'ils aient commencé à poindre, ne peut être aveuglé par les choses extérieures. C'est pourquoi on l'appelle éclairé.

(8) Le Tao peut être considéré comme un arbre dont sa lumière est la racine, et l'émanation de sa lumière, les branches. Ces branches se divisent et produisent dans l'homme la faculté de voir, d'entendre, de sentir, de percevoir. Le Tao coule de la racine aux branches. L'étude part des branches pour chercher la racine. C'est pourquoi Lao-tseu dit: Si l'homme fait usage de l'éclat du Tao pour revenir à sa lumière, c'est ce qu'on appelle être doublement éclairé.

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Livre Second - Chapitre LIII

L1-C53
Le TaoTeKing : Livre Second - Chapitre LIII

Si j'étais doué de quelque connaissance(1), je marcherais dans la grande Voie.
La seule chose que je craigne, c'est d'agir.
La grande Voie est très unie, mais le peuple(2) aime les sentiers.
Si les palais sont très brillants(3), les champs sont très incultes, et les greniers très vides.
Les princes s'habillent de riches étoffes; ils portent un glaive tranchant; ils se rassasient de mets exquis; ils regorgent(4) de richesses.
C'est ce qu'on appelle se glorifier du vol(5); ce n'est point pratiquer le Tao(6).


(1) Lao-tseu déteste les princes de son temps qui ne pratiquent pas le grand Tao. C'est pourquoi il fait cette supposition (pour les avertir): « Si j'avais de grandes connaissances (quelque connaissance) dans l'art de l'administration, je marcherais dans la grande Voie, et je donnerais moi-même le salutaire exemple du non-agir ».

(2) Le cœur de l'homme est pervers et corrompu; il ne suit pas la grande Voie. Alors l'influence de l'instruction dépérit de jour en jour, la ruse et la méchanceté du peuple s'augmentent, et les lois deviennent de plus en plus sévères.

(3) C'est-à-dire bien nettoyé et beau (à voir).

(4) Pour que le prince ait du superflu, il faut que le peuple soit privé du nécessaire.

(5) Lao-tseu veut dire ici « donner l'exemple du vol ».

(6) Le Saint n'habite qu'une humble maison, il porte des habits grossiers et se nourrit de la manière la plus simple; mais il s'applique à l'agriculture et il estime les grains. De cette manière, le profit ne manque pas de se répandre également sur tous les hommes, et les riches n'éblouissent pas les pauvres. Les princes d'aujourd'hui font tout le contraire; aussi Lao-tseu dit qu'ils ne pratiquent point le Tao.

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Livre Second - Chapitre LIV

L1-C54
Le TaoTeKing : Livre Second - Chapitre LIV

Celui qui sait fonder(1) ne craint point la destruction; celui qui sait conserver ne craint point de perdre.
Ses fils et ses petits-fils(2) lui offriront des sacrifices sans interruption.
Si (l'homme) cultive le Tao au dedans de lui-même, sa vertu deviendra sincère.
S'il le cultive dans sa famille, sa vertu deviendra surabondante.
S'il le cultive dans le village, sa vertu deviendra étendue.
S'il le cultive dans le royaume, sa vertu deviendra florissante.
S'il le cultive dans l'empire, sa vertu deviendra universelle.
C'est pourquoi, d'après moi-même, je juge des autres hommes; d'après une famille, je juge des autres familles; d'après un village, je juge des autres villages; d'après un royaume, je juge des autres royaumes; d'après l'empire, je juge de l'empire(3).
Comment sais-je qu'il en est ainsi de l'empire? C'est uniquement par-là(4).


(1) Si l'on plante un arbre dans une plaine, il viendra nécessairement un temps où il sera arraché et renversé. Mais ce qui est bien établi n'est jamais arraché (renversé). Si l'on tient un objet entre ses deux mains, il vient nécessairement un moment où on le lâche; mais ce que nous conservons fortement ne nous échappe jamais. Selon Sie-hoeï, cette double comparaison s'applique à celui qui sait établir profondément la vertu en lui-même et conserver fermement le Tao.

(2) C'est-à-dire que sa vertu deviendra florissante, et que ses bienfaits s'étendront jusqu'à ses derniers neveux.

(3) D'après l'état actuel de l'empire, je juge de l'état futur de l'empire.

(4) L'empire n'a pas deux Tao (Voies). Si le Saint connaît l'empire, c'est uniquement par ce Tao.

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Livre Second - Chapitre LV

L1-C55
Le TaoTeKing : Livre Second - Chapitre LV

Celui qui possède une vertu solide ressemble à un nouveau-né(1) qui ne craint ni la piqûre des animaux venimeux, ni les griffes des bêtes féroces, ni les serres des oiseaux de proie.
Ses os sont faibles, ses nerfs sont mous, et cependant il saisit fortement les objets.
Il ne connaît pas encore l'union des deux sexes, et cependant certaines parties (de son corps) éprouvent un orgasme viril. Cela vient de la perfection du semen.
Il crie tout le jour et sa voix ne s'altère point; cela vient(2) de la perfection de l'harmonie (de la force vitale).
Connaître l'harmonie s'appelle être constant(3).
Connaître la constance(4) s'appelle être éclairé.
Augmenter sa vie s'appelle une calamité(5).
Quand le cœur donne l'impulsion à l'énergie vitale, cela s'appelle être fort.
Dès que les êtres sont devenus robustes, ils vieillissent.
C'est ce qu'on appelle ne pas(6) imiter le Tao.
Celui qui n'imite pas le Tao périt de bonne heure.


(1) Un enfant nouveau-né est calme et exempt de désirs; il n'en est que plus parfait. Si les objets extérieurs se présentent à sa vue, il ne sait pas leur répondre, c'est-à-dire se mettre en rapport avec eux. Le Tao n'a pas de corps (est immatériel); les êtres ne sauraient le voir, et, à plus forte raison, ils ne pourraient le blesser. Les hommes arrivent à avoir un corps (c'est-à-dire à sentir qu'ils ont un corps) parce qu'ils ont un cœur. Ayant un cœur, ils ont ensuite des ennemis qui accourent en foule pour les blesser. Dès qu'un homme n'a plus de cœur (s'est dépouillé de son cœur), aucun être ne peut lui résister en ennemi, et, à plus forte raison, lui faire du mal. Pourquoi l'enfant est-il arrivé à ce point (à ne rien redouter)? C'est uniquement parce qu'il n'a point de cœur (c'est-à-dire parce qu'il n'a point le sentiment de son existence).

(2) Quand le cœur est ému, la force vitale est lésée. Quand la force vitale est lésée, si l'on crie, la voix devient rauque. Comme un nouveau-né crie tout le jour sans que sa voix s'altère, on reconnaît que son cœur n'éprouve aucune émotion, et que sa force vitale est dans une parfaite harmonie, c'est-à-dire est calme et reposée. Celui qui possède cette harmonie ne se laisse pas troubler (blesser) intérieurement par les objets extérieurs.

(3) Celui qui connaît (cette) harmonie peut subsister constamment. C'est pourquoi on l'appelle « non sujet au changement, immuable ». Dans le monde, il n'y a que les principes de la vie spirituelle qui soient constants. Toutes les autres choses sont sujettes au changement. Celui qui possède le Tao conserve son esprit par le repos; les grandes vicissitudes de la vie et de la mort ne peuvent le changer, etc...

(4) Connaître la constance (connaître l'art d'être constant, c'est-à-dire de ne pas se laisser changer ou pervertir par les objets extérieurs), c'est connaître le Tao. C'est pourquoi la connaître s'appelle être éclairé.

(5) Si l'homme se livre à la cupidité et à l'ambition, s'il contente les désirs de sa bouche et l'intempérance de son ventre pour augmenter sa vie, il s'attire infailliblement des malheurs et finit par succomber à une mort prématurée.

(6) Ceux qui sont mous et faibles comme le Tao subsistent longtemps, et jusqu'à la fin de leur vie ils ne sont jamais exposés à aucun danger. D'un autre côté ceux qui ne songent qu'à augmenter leurs richesses, leurs honneurs, leurs forces physiques, ne tardent pas à perdre leur fortune, leurs dignités, leur santé, et succombent avant le temps.

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Livre Second - Chapitre LVI

L1-C56
Le TaoTeKing : Livre Second - Chapitre LVI

L'homme qui(1) connaît (le Tao) ne parle pas; celui qui parle ne le connaît pas.
Il clôt sa bouche, il ferme ses oreilles et ses yeux, il émousse son activité(2), il se dégage de tous liens, il tempère(3) sa lumière (intérieure), il s'assimile au vulgaire. On peut dire qu'il ressemble(4) au Tao.
Il est inaccessible(5) à la faveur comme à la disgrâce, au profit comme au détriment, aux honneurs comme à l'ignominie.
C'est pourquoi il est l'homme le plus honorable de l'univers.


(1) Le Tao est caché; il n'a pas de nom. Ceux qui le connaissent le méditent en silence. Mais ceux qui cherchent à briller par l'éclat et l'élégance de la parole sont des hommes qui ne connaissent pas le Tao.

(2) Signifie « il fait usage de la souplesse et de la faiblesse » c'est-à-dire, il plie au lieu de résister, il paraît faible au lieu de vouloir déployer la force et la violence qui entraînent l'homme à sa perte.

(3) Il jette de l'éclat, mais il n'éblouit personne.

(4) Signifient: « Il est grandement semblable aux êtres; mais il est tellement profond qu'on ne peut le connaître ».

(5) Comme il a peu de désirs et peu d'intérêts privés, on ne peut lui procurer du profit; comme il possède la plénitude de la vertu, on ne peut lui faire du mal; comme il ne désire ni la faveur des princes ni la gloire, on ne peut lui accorder des honneurs; comme il ne dédaigne pas une condition basse et abjecte, il est impossible de l'avilir. C'est là le caractère d'une vertu parfaite; c'est pourquoi il est l'homme le plus honorable du monde.

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Livre Second - Chapitre LVII

L1-C57
Le TaoTeKing : Livre Second - Chapitre LVII

Avec la droiture, on gouverne le royaume; avec la ruse(1), on fait la guerre; avec le non-agir, on devient le maître de l'empire.
Comment sais-je qu'il en est ainsi de l'empire? Par ceci.
Plus le roi multiplie les prohibitions et les défenses, et plus le peuple s'appauvrit;
Plus le peuple a d'instruments de lucre, et plus le royaume se trouble;
Plus le peuple(2) a d'adresse et d'habileté, et plus l'on voit fabriquer d'objets bizarres;
Plus les lois se manifestent, et plus les voleurs s'accroissent(3).
C'est pourquoi le Saint(4) dit: Je pratique le non-agir, et le peuple se convertit de lui-même.
J'aime la quiétude, et le peuple se rectifie de lui-même(5).
Je m'abstiens de toute occupation(6), et le peuple s'enrichit de lui-même.
Je me dégage de tous désirs, et le peuple revient de lui-même à la simplicité(7).


(1) Dans la guerre on désire prendre l'ennemi à l'improviste; c'est pourquoi l'on a recours à des stratagèmes habilement combinés.

(2) Lorsque le peuple est véritablement pur et simple, nul n'a besoin de briller par une habileté extraordinaire. Mais quand le peuple montre beaucoup d'adresse et d'habileté dans les arts, on voit paraître une foule d'objets aussi étranges qu'inutiles qui deviennent pour l'empire des instruments de trouble et de désordre.

(3) En temps de paix, les lois et les règlements se réduisent à peu de chose; en temps de trouble, ils sont très multipliés. Si le prince emploie des lois d'une sévérité excessive pour contenir les inférieurs, ceux-ci éludent les lois à force de ruse et d'adresse et se moquent du prince; alors les trahisons s'augmentent, et les voleurs se multiplient de jour en jour. Les quatre sortes de malheurs que nous venons de rapporter viennent de ce que le roi se livre à l'action. Voilà les désordres qu'une telle activité fait naître dans l'empire. On voit par là que, pour devenir le maître de l'empire, il faut absolument observer le non-agir.

(4) Le Saint (cette expression désigne un prince parfait) observe le non-agir; il instruit sans parler (c'est-à-dire, par son exemple): c'est pourquoi le peuple vit dans une douce harmonie et se convertit de lui-même.

(5) Lorsque le Saint aime la quiétude, le peuple aussi observe le non-agir. En observant le non-agir, il se rectifie de lui-même.

(6) Si le roi est très occupé (si, par exemple, il ordonne des travaux publics, s'il entreprend des expéditions militaires), le peuple est forcé d'abandonner ses travaux particuliers, de quitter son état, sa profession; comment pourrait-il ne pas devenir pauvre? C'est pourquoi, lorsque le roi ne se livre à aucune occupation, le peuple s'enrichit de lui-même.

(7) Si le roi a des désirs, le peuple s'empressera de les satisfaire, et on verra paraître la fausseté et l'hypocrisie. C'est pourquoi, lorsque le roi est sans désirs, le peuple revient de lui-même à la simplicité.

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Livre Second - Chapitre LVIII

L1-C58
Le TaoTeKing : Livre Second - Chapitre LVIII

Lorsque l'administration (paraît) dépourvue de lumières, le peuple devient riche.
Lorsque l'administration est clairvoyante(1), le peuple manque de tout.
Le bonheur naît du malheur, le malheur est caché au sein du bonheur. Qui peut en prévoir la fin?
Si le prince n'est pas droit, les hommes droits deviendront trompeurs, et les hommes vertueux, pervers.
Les hommes sont plongés dans l'erreur, et cela dure depuis bien longtemps!
C'est pourquoi le Saint est juste(2) et ne blesse pas (le peuple).
Il est désintéressé et ne lui fait pas de tort.
Il est droit et ne le redresse pas.
Il est éclairé et ne l'éblouit pas.


(1) Lorsque l'administration devient minutieuse et tracassière, lorsqu'elle fait exécuter les lois dans toute leur rigueur, le peuple, gêné par une multitude de règlements, ne peut gagner tranquillement sa vie, et se voit hors d'état d'échapper au besoin et à la mort.

(2) Lorsque le Saint gouverne, quoiqu'il soit extrêmement juste et éclairé, il conserve une généreuse indulgence pour tous les hommes. S'il en était autrement, il montrerait une sévérité excessive et tomberait dans les excès où conduit l'abus des lumières, c'est-à-dire, l'abus d'une pénétration qui ne s'exerce qu'à trouver des fautes dans les autres.

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Livre Second - Chapitre LIX

L1-C59
Le TaoTeKing : Livre Second - Chapitre LIX

Pour gouverner les hommes et servir le ciel, rien n'est comparable à la modération(1).
La modération doit être le premier soin de l'homme(2).
Quand elle est devenue son premier soin, on peut dire qu'il accumule abondamment la vertu.
Quand il accumule abondamment la vertu, il n'y a rien dont il ne triomphe(3).
Quand il n'y a rien dont il ne triomphe, personne ne connaît ses limites(4).
Quand personne ne connaît ses limites, il peut posséder le royaume.
Celui qui possède la mère du royaume(5) peut subsister longtemps.
C'est ce qu'on appelle avoir des racines profondes et une tige solide.
Voilà l'art de vivre longuement et de jouir d'une existence durable.


(1) Se rapporte à l'économie proprement dite. Régler ses dépenses avec modération, ne pas consumer ses richesses, ne pas faire de tort au peuple, c'est là l'économie qui sert à gouverner les hommes.

(2) Celui qui est économe n'a jamais le malheur de manquer du nécessaire; aussi prend-il d'avance ses mesures pour ne pas tomber dans le besoin.

(3) Quand il accumule la vertu, tous les hommes sont dans l'aisance; aussi il n'y a pas (d'obstacles, d'ennemis) dont il ne triomphe.

(4) Quand il triomphe de tous les obstacles, on ne peut mesurer, calculer la durée de son royaume. C'est pourquoi personne ne connaît ses limites. Quand personne ne connaît ses limites, il peut conserver longtemps ses états; c'est pourquoi Lao-tseu dit : « il peut posséder le royaume ».

(5) Les mots « mère du royaume » désignent « l'économie ».

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Livre Second - Chapitre LX

L1-C60
Le TaoTeKing : Livre Second - Chapitre LX

Pour gouverner un grand royaume, (on doit) imiter (celui qui) fait cuire(1) un petit poisson.
Lorsque le prince dirige l'empire par le Tao, les démons ne montrent point leur puissance.
Ce n'est point que les démons manquent de puissance, c'est que les démons ne blessent point les hommes.
Ce n'est point que les démons ne (puissent) blesser les hommes, c'est que le Saint lui-même ne blesse point les hommes.
Ni le Saint ni les démons ne les blessent; c'est pourquoi ils confondent ensemble leur vertu.


(1) Lorsqu'on fait cuire un petit poisson, on n'ôte ni ses entrailles ni ses écailles; on n'ose le manier rudement de peur de l'écraser. De même, lorsqu'on gouverne un grand royaume, il ne faut pas se donner beaucoup de mouvement, ni établir une multitude de lois et de règlements, de peur de tourmenter les inférieurs et de les exciter au désordre.

Le Saint emploie le vide et la lumière (c'est-à-dire se dépouille de ses passions et dissipe leurs ténèbres) pour nourrir sa nature, la modération et l'économie pour subvenir aux besoins de son corps, la pureté et l'attention la plus sévère pour fortifier sa volonté, le calme et la quiétude pour gouverner son royaume.
Lorsqu'on gouverne l'empire par le Tao, les démons n'osent montrer leur puissance, parce qu'un Saint est assis sur le trône. Si les démons n'osent montrer leur puissance pour nuire aux hommes, ce n'est pas qu'ils manquent de puissance, c'est uniquement parce que la perversité ne peut vaincre la droiture. C'est pourquoi on reconnaît que si les démons n'osent attaquer les hommes, c'est parce qu'ils craignent et respectent l'homme droit et sage qui est sur le trône. Si le Saint n'ose nuire au peuple, c'est qu'il l'affectionne comme s'il était son père. Si, dans le nombre, il se trouve des hommes aveugles qui se laissent aller au mal, le Saint se garde de les punir immédiatement à cause du mal qu'ils ont fait. Il les sauve par sa bonté, il les console par ses bienfaits et les fait revenir au bien. Le Saint ne fait point de mal au peuple, et alors les démons se convertissent. Cela montre la grandeur de sa vertu. De leur côté, les démons ne font point de mal aux hommes; cela prouve aussi l'excellence de leur vertu. Tout l'empire en attribue le mérite au Saint; mais celui-ci ne voit aucun mérite dans ses œuvres, et il rapporte ce mérite aux démons. Ainsi ils confondent ensemble leur vertu.

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Terminologie

Lis : Le Li est une unité de mesure chinoise de distance qui a considérablement varié en valeur avec le temps et les traducteurs. En effet les mesures chinoises ont posé de grandes difficultés à tous ceux qui se sont penchés sur leur valeur et personne n'a vraiment pu s'entendre à ce sujet. Selon le Père Maffée (16ème siècle), le li comprend l'espace où la voie de l'homme peut porter dans une plaine, quand l'air est tranquille et serein.

Il semblerait qu'aujourd'hui cette distance se soit « à peu près standardisée » et équivaudrait à 500 ou ... 576 mètres selon les sources.

Sie-hoeï : Le Docteur Sie-hoeï est l'auteur d'une édition du livre de Lao-tseu publiée en 1530 sous le titre de Lao-tseu-tsi-kiaï. (Bibliothèque royale, fonds de Fourmont, n° 288.)

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